Annales Médico-Psychologiques, revue psychiatrique, volume 178, March 2020, Pages 223-225
Aspects médico-psychologiques relatifs à l’épidémie de coronavirus (Covid-19) : l’apport de la théorie de la détection du signal et du concept de lieu de contrôle
Medico-psychological aspects relating to the coronavirus epidemic (Covid-19): The contribution of the theory of signal detection and the concept of place of control
Annales Médico-Psychologiques, revue psychiatrique, volume 178, March 2020, Pages 223-225
Mots clés
Keywords
1. Introduction
Le nouveau coronavirus [2], [4], [5], [7], [12], [13], [14], [15] suscite bien des interrogations, et ce, à tous les niveaux, qu’ils soient internationaux, nationaux, institutionnels, économiques, universitaires, scolaires, familiaux, conjugaux et individuels.
En résultent un réel désarroi et des réactions allant en sens multiples, depuis la thésaurisation de denrées alimentaires jusqu’au vol de produits désinfectants (solutions hydro-alcoolisées) dans les hôpitaux, lesquelles réactions ne vont pas sans nous rappeler l’ancien mais excellent ouvrage de psychologie des foules de Gustave Le Bon édité en 1895 et disponible gratuitement en ligne1.
À notre connaissance, il n’y a pas d’articles francophones déjà publiés concernant les aspects médico-psychologiques liés au Covid-19. Elsevier® vient de mettre en place un centre d’information le 27 janvier 2020, régulièrement mis à jour2 et différents organismes comme l’OMS tiennent à jour, dans la mesure où l’information leur parvient, des cartes décrivant la propagation du virus3. En effet, tout se passe — avec la contamination de ce virus — comme ce qu’il en fut du virus HIV : honte, gêne, peur de la communication de cette information et des répercussions qu’elle peut avoir sur l’entourage. À titre d’exemple, certains pays touristiques (que nous ne nommerons pas) évitent de signaler leurs nouveaux cas, de peur de voir baisser leur affluence touristique.
2. Qu’en est-il sur le plan médico-psychologique ?
Conçue durant la guerre 40–45 pour optimiser l’efficacité des opérateurs radars des sous-marins, cette théorie [9], [10] propose une confrontation de l’attendu à l’observé.
Ainsi, l’opérateur situé devant son écran radar dans le sous-marin voit-il des signaux visuels qui peuvent être soit un « vrai » signal, c’est-à-dire un sous-marin ennemi, soit un « bruit », à savoir soit un artéfact ou un « non sous-marin ennemi ».
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La première efficience de l’opérateur ne sera, contrairement à ce que l’on pense, pas uniquement de repérer, signaler et faire torpiller le sous-marin supposé ennemi, mais aussi, comme illustré dans la figure ci-contre, de repérer un non-sous-marin comme tel, et partant d’éviter de gaspiller une torpille et d’alarmer tout l’équipage.
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La seconde efficience de l’opérateur (et nous voyons ici en quoi cela nous rapproche du Covid-19) sera d’éviter deux types d’erreurs, à savoir ne pas signaler qu’il y a un sous-marin alors qu’il y en a un, l’autre d’en signaler un alors qu’il n’y en a pas.
En termes psychologiques, l’application et le décodage de la Fig. 1donnerait pour la case « Raté » les situations où le sujet, qu’il soit médecin ou non, sous-estime le risque de Covid-19, est donc un hypoestimateur ou un dénieur. La case « Fausse alarme », elle, correspondrait à des sujets anxieux pour leur santé, hyperestimateurs, hypervigilants, voire à l’extrême hypocondriaques ou cybercondriaques [1], [4].

Fig. 1. Le modèle de la théorie de la détection du signal.
En 1966, Julian Rotter, sur la base de la constatation récurrente de différences individuelles dans la façon dont les individus perçoivent ce qui leur arrive, introduit la notion de « lieu de contrôle » (Locus of Control4). Il constate que certains individus considèrent que les « renforcements5 » qu’ils reçoivent ne sont pas déterminés par leurs propres actions, mais par des forces extérieures (chance, hasard, autrui : lieu de contrôle externe), là où, par contre, d’autres individus considèrent plus volontiers que les événements dépendent de leurs propres actions ou manières d’être (Lieu de contrôle interne).
Plus précisément, cette théorie essaie de déterminer dans un but prédictif quel comportement particulier est préféré par un individu, parmi une variété de comportements possibles. Par la suite, différents travaux ont appliqué ce concept au domaine de la santé et ont spécifié trois sous-types de modes de pensée et de comportements (Fig. 2).

Fig. 2. Évolution du concept de lieu de contrôle (LOC) : la pluridimensionalité spécifiquement appliquée à la santé (Wallston, 1978).
À ce jour, une recherche sur Pubmed avec « health locus of control » donne 12 159 résultats, dont 460 en 2019 et déjà 104 début mars 2020, ce qui atteste du succès considérable du concept et de son utilisation en matière de santé.
3. Quel(s) lien(s) avec le Covid-19 ?
Ces liens, bien que n’ayant pas encore été démontrés au vu de la récence de l’occurrence du virus, sont assez évidents.
D’une part, et des travaux le démontrent clairement dans d’autres matières de santé, les sujets dont le lieu de contrôle est davantage interne vont davantage s’auto-observer (fièvre, toux, souffle court, gorge irritée, maux de tête) que les sujets dont le lieu de contrôle est externe, considérant que ce sont « les autres » ou les circonstances du hasard qui déterminent le cours des opérations pour le coronavirus.
D’autre part, les mesures de prévention (lavage fréquent des mains au moins dix secondes ; éviter de se toucher les yeux, le nez et la bouche ; couvrir sa bouche et son nez lorsque l’on tousse ou que l’on éternue, éviter les poignées de mains et les « bisous » ; garder les objets et les surfaces propres ; éviter le contact avec les personnes malades ; éviter les foules ; éviter de voyager dans les zones infectées et, si possible se laver régulièrement les mains avec une solution hydro-alccolique lorsqu’elles restent disponibles) seront bien entendu mieux suivies par les sujets dont le lieu de contrôle est interne et qui se sentent responsables (étymologie en anglais : « response-able »), c’est-à-dire « capables de répondre » de leur santé.
De surcroît, ces aspects de prévention sont valables tant pour la population civile que pour les soignants.
En sus, lorsque l’on observe que l’épuisement professionnel croissant des infirmier(e)s et des soignants en général augmente de façon significative les infections nosocomiales dans les hôpitaux [3], ce paramètre ne fait qu’exponentialiser les risques de propagation.
4. Conclusion
En ce qui concerne le coronavirus, tant les institutions de soins que les médecins et les sujets porteurs potentiels du virus ont intérêt à exercer une vigilance accrue plutôt qu’une hypovigilance qui pourrait, non seulement nuire à leur santé, mais également à celle des autres en propageant l’épidémie. Tout est donc question de falsification des hypothèses, comme bien décrit in illo tempore (en 1934) par Karl Popper dans son ouvrage intitulé La logique de la recherche scientifique [6], [8], [11]. Il vaut donc mieux procéder à des fausses alarmes qu’à des omissions. L’encouragement de comportements allant dans le sens d’un lieu de contrôle interne de la santé est préconisé.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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On parlerait aujourd’hui plus volontiers de « rétroactions », mais il importe de noter que le terme « renforcements », aujourd’hui quelque peu suranné, est utilisé par Rotter qui, comme on l’a vu, hérite du courant behaviouriste et du vocabulaire qui y est associé.
Anne-Frédérique Naviauxa,d, Pascal Janneb,c,*, Maximilien Gourdinb,d
aHealth Service Executive (HSE) Summerhill Community Mental Health Service, Summerhill, Wexford, Y35 KC58, Irlande
bUniversité catholique de Louvain, CHU UCL Namur, avenue Dr-G.- Thérasse, 5530 Yvoir, Belgique
c Faculty of Psychology, Université catholique de Louvain, place Cardinal- Mercier 10, 1348 Ottignies-Louvain-la-Neuve, Belgique
dFaculty of Medicine, Universite ́ catholique de Louvain, avenue Emmanuel-Mounier 50, 1200 Woluwe ́-Saint-Lambert, Belgique
*Auteur correspondant. Universite ́ catholique de Louvain, CHU UCL Namur, avenue Dr-G.-The ́rasse, 5530 Yvoir, Belgique Adresse e-mail : pascal.janne@uclouvain.be (P. Janne).
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