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Le Jardin d'une PSY

Découverte d'articles scientifiques récents, réflexions et débats sur divers sujets ou spécialités : la crise sanitaire "COVID-19"; l'Approche Multidisciplinaire de l'abus sexuel, l'inceste, les maltraitantes (abus psychologique, sexuel, ...), violence familiale et conjugale; les Personnes "toxiques", les Troubles alimentaires;.... Des sujet écrits par moi, par d'autres qui se veulent d'être des outils de travail, de partage, d'information..., Carine Duray

Quelles sont les solutions internes et externes (concept de résilience) que nous pouvons apporter face à un parent "toxique" (ou pervers manipulateur narcissique) ? - Duray C, Nielens N, Acta Psychiatrica Belgica n°118/3;2019,16-30

Publié le 24 Mai 2020

Quelles sont les solutions internes et externes (concept de résilience) que nous pouvons apporter face à un parent "toxique" (ou pervers manipulateur narcissique) ? - Duray C, Nielens N, Acta Psychiatrica Belgica n°118/3;2019,16-30

QUELLES SONT LES SOLUTIONS INTERNES ET EXTERNES (CONCEPT DE RÉSILIENCE) QUE NOUS POUVONS APPORTER FACE À UN PARENT « TOXIQUE » (OU PERVERS MANIPULATEUR NARCISSIQUE) ?

WHAT ARE THE INTERNAL AND EXTERNAL SOLUTIONS (CONCEPT OF RESILIENCE) THAT WE CAN BRING TO A « TOXIC » PARENT (OR PERVERSE NARCISSISTIC MANIPULATOR) ?

Carine DURAY-PARMENTIER(a), Noémie NIELENS(b)

(a)Psychothérapeute familiale et systémique, Certificat universitaire en l’Approche multidisciplinaire de l’Abus sexuel et Maltraitance, Centre de Psychothérapie de Namur, Vedrin

(b)Psychologue clinicienne, cognitivo-comportementale, Psychothérapeute familiale et systémique, Centre de Psychothérapie de Namur, Vedrin

Acta Psychiatrica Belgica; n°118/3;2019, 16-30

 

Résumé

Comprendre la toxicité des relations dans laquelle est prise la victime d’un parent « toxique » et trouver des outils qui permettront à ces enfants, devenus adultes, de sortir de l’emprise dans laquelle ils sont pris, souvent depuis leur naissance. L’objectif de cet article est de pouvoir mieux comprendre et identifier ce concept de toxicité parentale non seulement par le fonctionnement même du parent « toxique » et des conséquences à l’égard de l’enfant, mais également sur le potentiel de développement social et relationnel. Autrement dit, comment devenir tuteur d’une résilience efficace face à une dynamique relationnelle toxique ? Par ailleurs, la notion de « pervers manipulateur narcissique » est un concept ayant une faible falsifiabilité pour laquelle cet article nécessite de faire la distinction avec d’autres pathologies sous-jacentes. A travers la recherche et l’étude bibliographique approfondie de multiples ouvrages internationaux reconnus, nos principales conclusions démontrent l’importance de comprendre non seulement la spécificité des schémas cognitifs et comportementaux tant du parent “toxique” que ceux de l’enfant devenu adulte et la possibilité de développement de résilience.

Mots-clés : toxicité parentale, manipulateur pervers narcissique, amour inconditionnel, traumatisme, parentification, faible estime de soi, sentiment d’efficacité personnelle, résilience, ressources, ajustement, représentation mentale, régulation émotionnelle.

Summary

Understanding the toxic relationships in which victims of a “toxic” parent are trapped, finding tools that will allow these grown-up children to get out of the grip they have been in, often since birth. The aim of this article is to better understand and identify this concept of parental toxicity, not only by the very functioning of the “toxic” parent and the consequences for the child, but also on the potential for social and cultural development and relationships. In other words, how to become a support of effective resilience in the face of toxic relationship dynamics ? Moreover, the notion of “perverse narcissistic manipulator” is a concept with a low falsifiability for which this article requires in order to distinguish other underlying pathologies. Through research and in-depth bibliographical study of many recognized international works, the main conclusions demonstrate the importance of understanding not only the specificity of the cognitive and behavioral patterns of both the “toxic” parent and those of the adult child, and the possibility of resilience development.

Key words : parental toxicity, narcissistic perverse manipu- lator, unconditional love, trauma, parentification, low self esteem, feeling of self-efficacy, resilience, resources, adjust- ment, mental representation, emotional regulation. 

Samenvatting

De toxiciteit van de relaties waarin het slachtoffer van een” toxische “ouder wordt gevangen begrijpen, en hulpmiddelen vinden om deze kinderen, als volwassenen, in staat te stellen (toe te laten) zich uit de greep los te maken (komen waar ze zijn geweest), vaak sinds de geboorte. Het doel van dit artikel is dit concept van ouderlijke toxiciteit beter te begrijpen en te identi- ficeren, niet alleen door het gedrag zelf van de toxische ouder en de gevolgen ervan voor het kind maar ook voor zijn sociale en relationele ontwikkelingspotentieel. Met andere woorden, hoe tutor worden van een efficiënte veerkracht tegenover (ge-confronteerd) (met) een tox(ist)ische relatie (onele) dynamiek. Bovendien is het begrip “perverse narcistische manipulator” een concept met (lage)weinig falsifieerbaarheid waard(v)oor dit artikel een onderscheid met andere onderliggende pathologieën vereist. Doorheen het onderzoek en diepgaande bibliografische studie van veel internationaal erkende werken, bewijzen onze hoofdzakelijke conclusies hoe (het) belangrijk het is de specifi- citeit van de cognitieve en gedragspatronen te begrijpen zowel van de toxische ouder, als die van het volwassen geworden kind en de mogelijkheid van de veerkrachtige ontwikkeling.

Trefwoorden : ouderlijke toxiciteit, perverse narcistische manipulator, onvoorwaardelijke liefde, trauma, parenti- ficatie, lage zelfwaardering, geloof in eigen kunnen, veer- kracht, hulpbronnen, aanpassing, mentale voorstelling, emotionele regulatie of evenwicht.                   

« Les premières fées à se pencher sur notre berceau sont nos parents. Ils nous transmettent, inconsciemment, des graines mentales et émotionnelles qui se développent en nous. Ces graines sont chargées d’amour, de respect et d’indépendance pour les unes ; pour d’autres, elles sont chargées de culpabilité, de honte, de mépris, d’assujettissement et de peur ».

INTRODUCTION

L’association des mots « parents » et « toxiques » peut sembler étrange. C’est pourtant un véritable sujet à considérer car c’est toute la capacité à l’épanouissement des enfants et des futurs adultes qui est en jeu. Les influences néfastes agissent d’ailleurs souvent de façon pernicieuse. On évoque des mécanismes inconscients qui se perpétuent de génération en génération. Pourtant, il est difficile d’accepter de penser que son parent soit « toxique ». Il est souvent pensé qu’il agit avec maladresse et est de « bonne foi » et qu’il punit « pour notre bien » ; qu’il a eu, lui aussi, ses problèmes avec ses propres parents et qu’il est normal de le respecter et de l’aimer en lui montrant présence, reconnaissance et affection 1,2. Alors, devons-nous obligatoirement aimer et respecter nos parents de façon inconditionnelle ? Avoir peur de convenir que les « parents toxiques » existent, c’est croire qu’il est interdit de « toucher » aux parents sous le mythe qu’ils sont des parents. Or il existe bien des parents respectueux de la personnalité et des besoins de leurs enfants. Toutefois, il existe aussi, malheureusement, des parents aux comportements déviants, donc nuisibles, dans un monde qui a bien du mal à les repérer 3. C’est donc par respect pour tous les parents bienveillants de leurs enfants que nous allons tenter de comprendre ce que c’est que la toxicité parentale. Plus précisément, les différentes lectures nous ont conduit à formuler la question de la façon suivante : Quelles sont les solutions internes et externes (concept de résilience) que nous pouvons apporter face à un parent « toxique » ? En effet, les parents « toxiques » sont de véritables fléaux pour leur enfant. La toxicité parentale concerne les parents qui empoisonnent la vie de leur enfant et les empêchent de se construire. Au lieu de les soutenir, ils les rabaissent. Grandir, s’épanouir face à un parent toxique est de l’ordre de « l’impossible ». De nombreuses conséquences sont étayées comme non seulement les carences affectives, la mauvaise estime de soi, le sentiment de culpabilité comme des blessures qui marqueront toute la vie l’enfant victime, même devenu adulte 1-3. Au travers des chapitres qui vont suivre, nous allons permettre d’identifier ce qu’est un parent toxique, souvent appelé « personne perverse manipulatrice narcissique » (MPN). La notion de MPN est, comme d’autres concepts tels le « burn out » devenu un concept « bateau » à faible falsifiabilité pour laquelle cet article nécessite au préalable de faire la distinction avec d’autres pathologies sous-jacentes et ainsi éviter des amalgames lors de nos entretiens cliniques. C’est la raison pour laquelle, nous avons choisi d’utiliser le terme « toxique », concept beaucoup plus neutre au niveau diagnostic. Ensuite, nous nous pencherons sur la compréhension de la dynamique relationnelle dans laquelle est prise l’enfant victime d’un parent toxique et proposer des outils qui permettront à ces enfants, devenus adultes, de sortir de l’emprise dans laquelle ils sont, souvent depuis leur naissance. Autrement dit, comment devenir tuteur d’une résilience efficace pour soi-même ?

PRÉSENTATION DU CONCEPT DU PARENT «TOXIQUE» VERSUS PARENT « SAIN »

Qu’est-ce qu’un parent « toxique » ?

Partons d’un exemple simple : un enfant joue en courant dans le jardin. Il tombe. Il se fait « naturellement » mal. Son parent, le plus souvent culpabilisé dans son rôle, lui dira sans doute que « ce n’est rien et qu’il n’a pas mal ». En verbalisant de cette façon cet incident, il va convaincre l’enfant que la douleur qu’il ressent est moins importante que son désir qu’il aille bien. L’enfant, alors dissocié intérieurement entre son ressenti douloureux et son désir d’être à la hauteur de ce qu’il sent important pour son parent, minimisera sa sensation de douleur en ravalant, apprenant par là-même que, dans le choix entre ce qu’il sent par lui-même et ce que son parent lui dit qu’il doit ressentir, il a toujours intérêt à se conformer à la perception de l’adulte s’il veut être aimé4,5. Et nous savons bien que tout enfant a besoin de se sentir aimé. Plus tard, devenu adulte, ayant été formé à la confusion émotionnelle entre ce qu’il sent de lui- même et ce que sentent les autres de lui, il se méfiera de son propre ressenti et aura des difficultés d’engagement relationnel (amoureuse, amicale...) parce qu’il n’a jamais eu le droit, dans son enfance, de vivre ses propres émotions et en a très peur. Dès lors, il est difficile de parler d’amour quand, en tant que parent, on se permet de critiquer et imposer son avis parental sur les choix de vie de son enfant devenu adulte. Pourtant, quel parent n’est pas un jour ou l’autre tombé dans le piège du « j’ai fait cela pour son bien » ce qui lui a permis de légitimer son action maladroite, pour ne pas dire imposante et « maltraitante » ? Certains s’y enferment en n’en démordant pas. Ce faisant, ils deviennent des parents « toxiques » car ils ne voient les besoins de leurs enfants qu’à travers leurs besoins à eux. D’un point de vue analytique, on peut appeler cette dynamique relationnelle parentale comme une attitude « incestuelle » car elle fait obstacle à la séparation en empêchant l’enfant de se développer par lui-même et donc d’accéder à son autonomie réelle. Suzan Forward utilise le terme « toxique » pour décrire ces parents défaillants : « Comme une toxine chimique, les dommages émotionnels infligés par ces parents se répandent dans tout l’être de l’enfant et au fur et à mesure que celui-ci grandit, la souffrance grandit avec lui1. Quel meilleur mot que « toxiques » pour décrire des parents qui font subir à longueur de temps traumatisme, abus, critiques de toutes sortes à leurs enfants, et qui, la plupart du temps, continuent à se comporter ainsi même après que les enfants soient devenus des adultes ? ». Faisons une petite parenthèse pour comprendre mieux ce qui caractérise l’incestuel (terme analytique utilisé ci- dessus). Nous évoquerons donc dans l’incestuel une absence de fantasme : l’incestuel relève de l’agir. Racamier définit l’incestuel comme « ce qui dans la vie psychique individuelle et familiale porte l’empreinte de l’inceste non fantasmé, sans que soient nécessairement accomplies les formes génitales »6. Mais contrairement à l’inceste, il s’agit ici d’un agir non génital. Pour Racamier, l’incestuel, c’est finalement « un inceste moral ». En conséquence, l’autorité, la mise en place de limites de même que l’altérité y est difficilement reconnue par l’enfant. Selon Defontaine6-8, l’incestuel, à l’origine, puise ses racines dans les carences affectives vécues dans la petite enfance au niveau d’une séduction narcissique insatisfaisante formant une blessure, un trauma intrapsychique infantile. Pour Maurice Hurni et Giovanna Stoll9, auteurs de « La Haine de l’amour », l’inceste est considéré comme l’explication de la perversité. En ce qui concerne donc le parent « toxique »10,11 nous pouvons le définir comme un parent incapable de répondre aux besoins émotionnels de son enfant. Il est défaillant et dysfonctionnel. Il est brutal, violent physiquement et psychologiquement. Il a des comportements inappropriés. Il est également dénigrant, dévalorisant et accablant. Il peut se montrer dominant, manipulateur, critique et démissionnaire. Il ne veille donc pas à l’épanouissement spécifique de son enfant. Au contraire, ce parent se positionne face à lui comme « tout-puissant ». Il détruit l’amour-propre de l’enfant. Il le rend responsable de son malheur et ne lui offre ni stabilité ni cadre.

Qu’est- ce qu’un parent « sain » ?

Arcoulin décrira un parent « sain » comme un parent respectueux de son enfant se remettant en question et découvrant (parfois même douloureusement) que, puisque son enfant n’est pas lui, il ne lui appartient pas.10 Il convient alors qu’il ne peut pas tout savoir ce qui est « bon pour lui ». En fait, il découvre que, dans la plupart des cas, « aimer son enfant » c’est le laisser faire ce qu’il croit bon pour lui, quand bien même que le parent est persuadé, à un moment donné, du contraire. L’important dans les moments de tempête, où certaines faiblesses peuvent apparaitre, le parent « sain » a la capacité de faire comprendre à son enfant que ce n’est que momentané, que tout passe et que, même s’il y a des nuages, le soleil est toujours présent, derrière. Donc, un parent respectueux, un parent « sain » est un parent capable de faire des besoins de son enfant une priorité, de pouvoir lui proposer un accompagnement, un soutien relationnel à travers le respect des choix de son enfant devenu adolescent, adulte. Autrement dit, ce parent est capable de se remettre en question, d’aimer inconditionnellement, d’être présent sans rien attendre en retour, de protéger, de s’adapter, de soutenir et de valoriser son enfant10. De cette façon, il est capable de lui transmettre la confiance, l’estime de soi, les valeurs éthiques et la force nécessaire pour rester debout face aux difficultés de la vie (concept de résilience). Il est également capable d’offrir à son enfant de la stabilité, de la constance, de lui donner les autorisations dont il a besoin pour grandir, s’épanouir et réussir. Ce parent sait aussi poser un cadre avec des limites et des règles dont l’enfant a besoin pour être rassuré dans sa structure environnementale. Le parent « sain » aime son enfant comme il est. Il n’attend rien de lui. Il ne le laisse pas porter des responsabilités qui ne sont pas les siennes. Il le laisse tenir son rôle d’enfant. Il lui assure que tant qu’il sera là, il veillera sur lui. Ce parent peut aussi être inquiet pour son enfant et il doit trouver un juste équilibre entre confiance et inquiétude afin que l’enfant se sente à la fois protégé et soutenu. Pour permette à un enfant ou un adolescent de grandir efficacement, il est important de le laisser commettre ses propres erreurs. Donc, le laisser tirer par lui-même les leçons de ses propres expériences. En conclusion, c’est notre peur, égoïste, de parent qui nous contraint de croire que d’agir « pour le bien de notre enfant » s’appelle l’aimer. Ainsi, l’empêcher de commettre certaines « erreurs », c’est lui voler l’outil de sa propre croissance, et c’est ce que le parent « toxique » ne peut ni ne veut voir. Il est persuadé du bien- fondé de son jugement sur les autres et l’impose. Il fait donc à son enfant un chantage à l’amour qui se traduit par cette fausse loi inconsciente « J’ai nécessairement tort quand je ne pense pas ou n’agis pas à la volonté de mon parent que j’aime »1,10. En conséquence à cette dynamique relationnelle, nous pouvons parler d’un processus perverti de loyauté intra- familiale parentale, ressentie par l’enfant comme une non autorisation de soi à la liberté de penser et d’agir, il se fige par une reconnaissance de soi possible uniquement par un ressenti de redevabilité à son/ses parent(s) toxique(s).

QU’EST-CE QU’UN « PERVERS NARCISSIQUE » ? COMMENT PEUT-ON L’IDENTIFIER ?

Qu’est-ce qu’une personne à personnalité perverse narcissique ?

Un pervers narcissique est une personne qui est porteuse d’une pathologie grave. Anne-Clotilde Ziegler et Antoine Spath parleront de « Psychose blanche »5,12, c’est-à-dire, une psychose dans laquelle il n’y a pas de signes délirants ou hallucinatoires (Concept psychanalytique, André Green et Jean-Luc Donnet, 1973)13. Cette personne est porteuse de traits narcissiques. Par ailleurs, Anne-Clotilde Ziegler et Hélène Vecchiali brosseront les traits d’une personne narcissique comme une personne qui est « accro » à l’image d’elle-même12,14. Elle va chercher, dans le monde qui l’entoure, à avoir en permanence les projecteurs sur elle, à être le centre d’attention. C’est quelqu’un qui va être tellement centré sur lui qu’il manque singulièrement d’empathie pour autrui. L’autre n’est, au fond de lui, qu’un miroir qui lui renvoie sa propre image. Le narcissique est pénible et fatiguant. Le pervers, lui, est toxique. Il a de la jouissance à faire souffrir l’autre. Il instrumentalise l’autre et le déshumanise. Son fonctionnement est donc arbitraire et asocial3,5. Il y a des degrés dans la perversité : de la petite perversité courante (il est évident que nous avons tous en nous du « petit pervers », par moment) à la grande perversité où la personne va jusqu’à l’acte de barbarie, va commettre des actes atroces. Ce qui est dangereux chez le pervers, selon Anne- Clotilde Ziegler, c’est que ce personnage avance « masqué » où il conjugue plusieurs casquettes12. Le premier masque est un masque de séduction. Le pervers va s’ingénier à montrer à sa victime l’image qu’elle attend, qu’elle souhaite rencontrer. Derrière ce masque de séduction, il y en a un second qui est plus pernicieux : c’est le masque de la « normalité ». C’est-à- dire que le pervers va jouer la victime et c’est la victime qui va lui trouver des excuses pour ses comportements blessants. Le pervers narcissique ment tout le temps. Toutefois, il y a des différences majeures en termes de fréquence. Les gens « normaux » peuvent mentir une fois de temps en temps, mais vont finir par se sentir honteux ou coupable de l’avoir fait. Au contraire, un pervers narcissique mentira continuellement et de façon éhontée. Par exemple, lorsque nous commettons, en tant que personne bienveillante, un acte, nous le faisons dans un but précis, même si parfois ce n’est pas une bonne chose à faire. Quant au pervers narcissique, son but dans l’action est de prendre le pouvoir sur l’autre de manière à l’asservir4,5. Le pervers narcissique a également une vie émotionnelle très haute en couleur. Il alterne des moments d’euphorie où il est ivre de lui-même et des moments de dépression où il subit un revers ou une humiliation et cela le tue. L’émotion du pervers narcissique est une émotion contrefaite qui est aussi appelée émotion parasite ou émotion fausse12. De cette façon, il utilise toute la gamme des émotions en un claquement de doigt en fonction de la situation qui se présente à lui. Quant à la victime, elle ne se pose pas de questions sur son identité et est capable de dire « je », sans problème5. Il leur est difficile d’imaginer que la nature de leur personne (possédant naturellement une qualité, du pouvoir, un bien sans avoir conscience de la valeur et de l’importance de ce qu’il possède) puisse être l’objet d’un désir convoité par le manipulateur.

Différentes pathologies à ne pas confondre avec la personnalité perverse narcissique

La notion de « pervers manipulateur narcissique » est un concept détenant une faible falsifiabilité pour laquelle cet article nécessite de faire la distinction avec d’autres pathologies sous-jacentes tels que troubles bipolaires, alexithymies ou troubles paranoïaques (repris dans le DSM-V). En effet, afin d’éviter de faire des amalgames ou des diagnostics sauvages et cataloguer quiconque de « pervers narcissique », Anne-Clotilde Ziegler a relevé quelques pathologies qui se rapprochaient du comportement du pervers12.

Le MPN versus trouble bipolaire

Dans le trouble bipolaire, la personne alterne des phases dites « maniaques » (excitations euphoriques et mégalomaniaques) et des phases de « dépression », quelques fois gravissimes à la mélancolie. Dans la maladie bipolaire, entre deux crises, la personne redevient « normale » et a la capacité de critiquer ses crises. Elle s’aperçoit de l’anormalité de son état émotionnel et ce qu’elle a fait au décours de ses épisodes pathologiques. En revanche, quand un pervers narcissique est ivre de lui-même, il est quasiment dans des phases qui peuvent ressembler à des phases maniaques. Il est guidé par ses émotions et lorsqu’on essaye de l’amener à poser un œil critique, il se défend bec et ongle12,15.

Le MPN versus alexithymie

Les personnes souffrant d’alexithymie sont des personnes incapables de mettre des mots sur leurs émotions. Ces personnes peuvent apparaître très froides et sont incapable d’empathie. Elles rencontrent beaucoup de difficultés relationnelles. Toutefois, quand on la remet en question, de façon adroite, en s’adressant à sa pensée, elle a la capacité de comprendre qu’il y a quelque chose qu’elle ne voit pas. Elle va s’efforcer, en thérapie, d’apprendre à comprendre ce qui se passe pour l’autre. Le pervers narcissique, par contre, va se défendre de sa froideur. En effet, derrière cette froideur, il y a du vide et il ne peut pas descendre de ça12,15,16.

Le MPN versus pathologie paranoïaque

La pathologie paranoïaque est définie sous deux composantes : Les paranoïaques décompensés : personnes qui sont complètement délirantes. On les repère assez vite car ils racontent des choses invraisemblables et incohérentes ; La personnalité paranoïaque (avant la décompensation) : ce sont des gens qui, peut-être, ne décompenseront jamais. La personnalité paranoïaque se caractérise par quatre traits qui sont assez proches des traits de la perversion narcissique : la méfiance (incapacité à être proche), l’orgueil, la psychorigidité (énoncer de grands principes, très clairs et très tangibles) et la fausseté du jugement (incapacité à percevoir la réalité dans son chatoiement nuancé). Ce qui va faire la différence, c’est la psychorigidité. C’est-à- dire que le paranoïaque va être psychorigide pour lui-même et pour les autres. C’est un comportement complètement pathologique. Quant au pervers narcissique, celui-ci va être psychorigide comme ça l’arrange. Il va donner une version des choses à certains moments comme ça l’arrange. Puis, la version diamétralement opposée à un autre moment parce que ça l’arrange. L’incohérence des deux ne le dérange pas. Puis, le paranoïaque et le pervers narcissique ne sont pas sur la même émotion et sur la même crainte. Le paranoïaque est rempli de terreur. Il craint qu’on lui veuille du mal. Il craint qu’on le fasse souffrir. Tandis que le pervers narcissique, il est rempli de jalousie, d’envies hostiles12,15.

COMMENT UN PARENT À PERSONNALITÉ PERVERSE NARCISSIQUE APPELÉ AUSSI « PARENT TOXIQUE » SE COMPORTE-T-IL AVEC SES ENFANTS ?

Anne-Clotilde Ziegler soutient qu’il y a une relation d’emprise toute particulière et terrible, sans phase de séduction, puisque l’enfant est ferré d’emblée par l’état de toute puissance parentale12. Le parent « toxique » va, dans un premier temps, utiliser son enfant comme un prolongement narcissique de lui- même. En effet, les enfants ne seront pas appelés à avoir une vie « normale », une vie psychologique sereine, une identité véritable, un désir d’épanouissement propre à soi. Il va plutôt être amené à être « un faire-valoir » pour le parent. L’enfant va se voir dérober toutes ses victoires au profit du parent, dans le prolongement de son reflet narcissique. Plus précisément, l’enfant va même jusqu’à être prié d’accomplir des activités non pas pour le plaisir de l’amusement mais de sa victoire (ex. « l’important, c’est de gagner ! ») et d’obtenir les victoires que le parent désire qu’il ait selon ce qu’il a lui-même réussit ou échoué auparavant. De plus, le parent « toxique » est envieux et cela le rend nuisible, toxique. Il veut détruire l’autre de ce qu’il possède parce qu’il veut tout ce que l’autre a. Il estime qu’il n’en a jamais assez. Donc, dès qu’un enfant de « pervers narcissique » va se mettre à réussir, à avoir des amis, des amours, à être beau, à grandir au fur et à mesure que son parent vieillit, le parent « toxique » va chercher à le rabaisser, à le détruire, à l’empêcher de réussir par toutes les manœuvres possibles. Cela peut aller des petites réflexions cinglantes et cassantes qui sont bien destructrices jusqu’aux crises de colères acharnées. Il va saboter la moindre prise d’initiative de son enfant. Et pour terminer il va gémir sur le mode victimaire d’avoir des enfants aussi mauvais qu’incompétents, ce qu’il a lui-même produit et qu’il ne reconnaitra pas2,10.

Comment le parent « toxique et manipulateur » met-il son enfant sous emprise ?

Comme nous l’avons compris précédemment, le parent « toxique » met tout en œuvre pour mettre son entourage sous emprise. Dès lors, nous nous intéressons à savoir comment cette dynamique relationnelle parentale toxique s’exerce-t- elle sur l’enfant ? Les différentes phases énoncées ci-dessous ont été mises en exergue par différents concepts selon différents auteurs tels que Marie Andersen, Isabelle Nazare- Aga, J. Arcoulin et Antoine Spath afin de définir les différents stades de l’emprise pour mieux comprendre comment ce processus relationnel de domination interactive du parent « toxique » agit2,5,10,17.

La phase de lune de miel

Pour I. Nazare-Aga et J. Arcoulin, le parent « toxique » installe un grand attachement et crée une dépendance affective avec son enfant. Il rend aveugle par ce qu’il fait. Il promet une vie extraordinaire où l’autre personne sera choyée, adulée, encensée2,10. La relation, à travers le parent « toxique », prend toute une place, occupe l’esprit constamment. A un point tel que la personne mise sous son emprise ne sait plus réfléchir ou respirer sans lui. Il s’agit d’une dépendance affective par laquelle le parent « toxique » se présente en sauveur, mais aussi en victime, en racontant tous ses malheurs et en dressant le portrait peu flatteur de toutes les personnes dont il a été la pauvre victime incomprise. De cette manière, ce parent « toxique » transmet ses représentations mentales et son ressenti émotionnel à l’enfant, à travers ses projections narcissiques.

La phase de doute et de déstabilisation

Quand le parent « toxique » sent que la dépendance affective est installée, il entame le processus de destruction massive : il dévalorise. L’enfant est affaibli. Il finit par croire qu’il n’est rien et encore moins que rien sans lui. Le parent « toxique » installe un sentiment de dépendance et « fait tout pour l’autre personne ». La confiance en soi, l’estime de soi, la capacité à réfléchir et l’esprit critique sont altérés. L’enfant, sous l’emprise de son parent finit par douter de lui-même et de son esprit sain2,10.

La phase d’isolement

Le parent « toxique » n’aime pas l’entourage de son enfant, les ressources de son enfant : les ami(e)s, la famille, les collègues ne sont pas bons et donc, l’enfant va apprendre à les éviter pour esquiver les colères, les insultes, la violence ou les menaces de son parent « toxique » ou bien pour lui faire plaisir (loyauté parentale à satisfaire les projections narcissiques toxiques de son parent)2,10.

Ensuite, nous nous sommes intéressés aux stratégies utilisées par le parent « toxique » pour consolider son emprise parentale. Nous en détaillons précisément plus d’une dizaine ci-dessous :

Offrir de(s) cadeau(x) empoisonné(s)

Dans le cas du parent « toxique » qui fait un cadeau à son enfant, les situations peuvent être très variées et paradoxales. Ce parent-là, d’apparence très généreux, est en fait profondément économe de sa personne et radin. Les cadeaux qu’il fera ne seront qu’un instrument pour induire un sentiment de redevabilité, comme si l’enfant avait une dette envers lui. Les cadeaux d’un parent « toxique » peuvent être vraiment très empoisonnés parce qu’ils infiltrent à l’enfant le sentiment de retour partagé, appuyé aussi par un discours subtil, mais culpabilisant. Ensuite, plus le cadeau est important, plus l’emprise sera forte et facile à installer. Ces cadeaux ne sont qu’un instrument de plus pour contrôler les choix que le parent « toxique » estime être le plus judicieux. Ces cadeaux permettent aussi, au parent « toxique » de conserver son image sociale en faisant étalage auprès de tiers de sa grande générosité et ne manquera pas par la même occasion de rappeler son geste à l’enfant. A long terme, ce processus toxique de domination et manipulation parentale mettra l’enfant, devenu adulte, dans une tension permanente avec un ressentiment de culpabilité et surtout de redevabilité. Plus le cadeau est disproportionné, plus il engendre une emprise importante sur l’autre2,5,10.

Utiliser les flatteries de façon excessive

Les flatteries et les compliments permanents et excessifs sont aussi d’autres formes de cadeaux empoisonnés. Pour Antoine Spath, le parent « toxique », dans ce cas précis, n’offre pas à l’enfant un objet ou un bien symbolique, mais l’inonde de petites phrases qui flattent son égo. Il le caresse dans le sens du poil afin d’obtenir ce qu’il désire5. L’objectif est, bien évidemment, de mettre l’enfant « dans sa poche » tout en se montrant sous son meilleur jour. Comment, alors, refuser quelque chose à son parent s’il vous tient en si haute estime (même si elle est totalement fausse). Cette flatterie excessive est d’autant plus malsaine qu’elle prépare le terrain à la dévalorisation, qui prendra place, dans un second temps. Toutes les qualités qui, en premier temps, ont été soulignées et valorisées seront ensuite critiquées et annihilées.

Instiller le flou/le brouillage

Dans la communication avec un parent « toxique », moins il est clair, plus il peut se retourner contre son interlocuteur car il conserve du contrôle sur la manière de mener la discussion. Pour un enfant, ce flou continu peut être difficile à vivre. Un enfant a besoin de clarté dans les consignes, de limites claires, de demandes simples qu’il pourra comprendre et auxquelles il pourra répondre. Les dégâts de la communication «floue» avec un enfant peuvent être désastreux à long terme. En effet, les enfants maintenus dans un style de communication brouillée peuvent avoir du mal à communiquer ensuite. Ils se sentent très stressés à l’idée de répondre à une demande ou à une question qu’ils pensent ne pas pouvoir comprendre et cela s’exprime dans son discours par des hésitations, des absences, des bégaiements et d’autres troubles du langage. Les demandes du parent « toxique » seront toujours équivoques et il reprochera toujours à l’enfant de ne pas l’avoir compris. Le but est de brouiller la communication tant sur le fond que sur la forme5,17.

La double contrainte ou double bind (injonction paradoxale)

La double contrainte est une technique de manipulation qui consiste à délivrer à une personne deux messages opposés qui deviennent alors une injonction paradoxale. Ce qui peut rendre « fou » l’enfant ne sachant à quelle injonction répondre. La double contrainte peut passer par les mots et aussi par les attitudes2,5,17,. Voici quelques exemples communicationnels : « Tu peux aller jouer dans la boue mais ne te salis pas », « Tu es le meilleur de ta classe mais 9/10, ce n’est pas assez », « Va à la garderie mais ne joue pas », ...

Jouer avec le timing : la dernière minute ou l’art de mettre devant le fait accompli

Le parent « toxique » a l’art de faire des demandes ou de changer le programme à la dernière minute. Cela lui permet de garder le contrôle et d’éviter que son entourage puisse s’opposer à ses décisions. Il met souvent les autres devant le fait accompli. Pour lui, le droit de réponse et le libre arbitre sont deux choses qu’il veut éviter à tout prix. Elles sont bien trop dangereuses pour lui2,10.

Le changement constant d’opinion

L’auteur a l’art de ne jamais donner d’avis précis sur une question. Et s’il manifeste un « semblant » d’opinion, celle-ci change en permanence. Le parent « toxique » va nier farouchement avoir changé d’avis, quitte à devenir agressif et à reporter la faute sur son enfant. Le tout, avec un aplomb et une assurance qui laisse l’enfant souvent pantois : « Je n’ai jamais dit ça ! » ou « Tu m’as mal compris ». Ce parent ne se remet jamais en question. Il a toujours raison5. Comme nous le comprenons, le parent « toxique » manipule son enfant selon ses objectifs, intérêts et événements de vie que traverse la famille. Ce parent «toxique» entraine tout le monde avec lui quand bon lui semble quand il se voit comme parent sauveur et victime.

L’art de prêcher le faux pour savoir le vrai

Pour Spath, il s’agit d’avancer une fausse, moyennement vraie, information, voire une information déformée, pour que son interlocuteur (en l’occurrence son enfant et même parfois l’adulte) se mette à se justifier ou dévoile ce qu’il n’aurait peut-être pas dévoilé si la question avait été posée directement . Le parent « toxique » a un sixième sens très développé et il peut « deviner » quelque chose. Pour confirmer son impression, il soutiendra qu’il connaît la vérité. Il dira que « On » lui a dit ceci ou cela, et l’enfant sera démuni face à la véracité de ce que le parent « toxique » soutien. Il y a de fortes chances que le parent « toxique » avance une version déformée, alors l’enfant aura à cœur de rétablir la vérité. Le voilà ainsi piégé.

Jouer avec les émotions : le chantage affectif

Implicitement, subtilement, le parent « toxique » va faire du chantage affectif à son enfant. Le chantage au suicide est le plus flagrant. En effet, il se fait toujours sous fond de culpabilisation. Il met l’enfant d’un parent « toxique » dans une position insupportable. A la longue, l’enfant a le sentiment de devoir prendre son parent en charge, de ne pas avoir le droit de vivre sa vie. Il finit par croire que s’il la vit, c’est au détriment de son parent. Les croyances s’installent et l’enfant devenu adulte va s’interdire d’être heureux et de vivre sa vie. Plus précisément, c’est d’abord l’épanouissement de son propre parent qui prime. Le chantage affectif sert alors au parent « toxique » à rappeler à l’enfant sa responsabilité, son soin donné et son amour inconditionnels à son parent mais aussi à renforcer le sentiment de culpabilité dont l’enfant du parent « toxique » se défera péniblement. Cette stratégie est directement liée à l’engagement5.

Les menaces en tout genre

Ce sont des chantages déguisés. Ces menaces peuvent être directes ou indirectes. Elles peuvent être subtiles ou grosses comme des maisons. Tout est bon, pour le parent « toxique », pour parvenir à ses fins. Il crée une situation de peur ou d’angoisse chez l’enfant tout en lui proposant en retour une solution qui va lui permettre de résoudre le problème et donc, de soulager l’anxiété de l’enfant5. De cette façon, il conserve le rôle de garant tout puissant sur l’enfant.

L’effet de surprise

Antoine Spath décrira que le principe de « l’effet de surprise » est de créer, chez l’autre (l’enfant, l’adolescent ou l’adulte) une situation de choc qui va engendrer un état de sidération, de blocage et de fermeture de la pensée5. Le parent « toxique » met l’enfant dans un état à mi-chemin entre la stupeur et l’angoisse. Le parent « toxique » a ainsi le champ libre pour « délivrer » un message qui va soulager la stupeur et la peur créées chez l’enfant et qui, par conséquent, va être accepté plus facilement.

La culpabilisation et victimisation

Le parent « toxique » se fait passer pour une victime. Il retourne la situation à son avantage de façon que sa victime se sente coupable et responsable de ses malheurs. C’est la répétition constante de la culpabilisation/victimisation qui en fait un outil dangereux. L’enfant se sent responsable des malheurs de son parent « toxique », parce que ce dernier l’a habilement convaincu qu’il l’était. La culpabilisation est épuisante. Elle est psychiquement éreintante. La personne qui se culpabilise ne cesse de se remettre en question, se demandant si, au fond, tout ce que son parent « toxique » dit n’est pas un peu vrai. La fatigue mentale s’accumule et l’enfant, victime, n’a plus assez d’énergie pour analyser la situation objectivement et se rendre compte qu’il n’est pas responsable de tous les maux dont l’accuse son parent5. Voici quelques exemples : « Si tu ne veux pas me rendre service, je vais être mal, c’est ce que tu veux pour maman ? », « Je ne veux pas que tu souffres comme moi des moqueries des autres enfants, tu ne feras pas de scoutisme, c’est pour ton bien ».

L’illusion du libre arbitre

Le parent « toxique » fait croire que son interlocuteur prend des décisions lui-même, sans influence, mais la réalité est autre. Il use de la culpabilisation, du chantage affectif, de menaces, de la victimisation et du conditionnement de manière habile afin d’orienter les choix de son enfant. Ainsi, il lui donne l’impression que c’est lui qui a décidé alors qu’il n’en est rien. De plus, sans le savoir, l’enfant s’est plié aux désidératas de son parent toxique. L’enfant, à travers son choix, a également le désir d’être aimé inconditionnellement5.

La répétition et le conditionnement

Répéter sans arrêt le même message ou le même reproche assoit une forme de « conditionnement ». En psychologie, on définira ce terme comme « un ensemble des opérations associatives par lesquelles on arrive à provoquer un nouveau comportement chez l’homme ». En effet, plus on répète une information, plus elle a tendance à s’engrammer (c’est-à-dire, à se graver) dans l’esprit. Un enfant qui entend constamment de son parent toxique qu’« il est nul » va finir par le croire. Le clou finit par s’enfoncer. Cet outil sert à dévaloriser et/ou à asseoir le pouvoir du parent « toxique ». Quand le conditionnement commence au berceau, on peut imaginer son efficacité5,10.

Les différentes phases passées en revue ci-dessus sont les plus répandues. Ils sont tous reliés les uns aux autres. Ils s’entremêlent et se superposent afin d’assurer au parent « toxique » son pouvoir et sa survie. Nous pouvons retenir que la culpabilisation sert au chantage affectif. Les cadeaux empoisonnés servent à la culpabilisation. Les flatteries servent aux cadeaux empoisonnés et ainsi de suite. En conclusion, pour Spath et Arcoulin, ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est qu’un parent « toxique » est un parent incapable de donner à son enfant les éléments et fondements essentiels à une éducation : l’estime de soi, un amour inconditionnel, tout ce qui permet à l’enfant de se construire dans un attachement sécure5,10. A travers nos lectures, nous comprenons l’importance des risques et dommages psychiques, cognitifs et comportementaux occasionnés par une dynamique interactionnelle parentale toxique, un sentiment d’efficacité et estime de soi faible, une difficulté de régulation émotionnelle, des représentations mentales dysfonctionnelles et floues, une difficulté à l’épanouissement personnel. Pour que l’enfant, devenu adulte, puisse se libérer totalement de l’emprise de son parent « toxique », il n’aura d’autre choix que d’installer une régulation des distances délimitées si possible ou de couper les ponts avec lui. La rupture relationnelle parentale est malheureusement parfois indispensable avec un parent « toxique ».

Quelles sont les caractéristiques d’un enfant de parent « toxique » ?

Il y a des signes qui nous permettent d’observer certains comportements ainsi que des traits de caractères particuliers chez l’enfant qui est sous l’emprise d’un parent « toxique ». Ce chapitre, va nous permettre d’observer certains de ces signes, de pouvoir les comprendre et traduire en caractéristiques comportementales:

L’enfant victime ne montre rien de ses émotions et sentiments

Pour J. Arcoulin, il s’agit d’une stratégie de survie pour l’enfant et non un trait de caractère. Il s’agit plus précisément d’un mécanisme de défense, de protection de soi. Quand l’enfant est face à un parent qui utilise contre lui la moindre émotion, la moindre faiblesse, le moindre sourcillement, il a vite fait de comprendre qu’il faut en montrer le moins possible. Le parent « toxique » a tôt fait de s’engouffrer dans les moindres failles de l’enfant. Il se servira du moindre signe pour nuire. Toutefois, cette maitrise d’eux-mêmes fait des enfants de parents « toxiques » des adultes résistants au stress et dominant leur communication non verbale. Ils sont considérés comme fiables et solides quand tout s’écroule. Ils savent garder la tête froide dans beaucoup de situations. Néanmoins, il leur faut trouver le moyen d’extérioriser les émotions contenues. La difficulté à évacuer le trop plein émotionnel empêche la régulation de nos émotions et donc un retour à une humeur « normale ». Ainsi l’enfant apprend avec un parent « toxique » à se contenir et nier ses émotions personnelles car seules celles du parent ont une reconnaissance et une véracité absolue. Leur sensibilité est souvent sous-estimée et souvent, ils passent pour des personnes insensibles. Ce qui n’est qu’illusion car cette « insensibilité » n’est qu’un masque qu’ils ont dû prendre à un moment pour se préserver. On pourrait penser en quelque sorte qu’ils sont devenus des adultes « a-lexi-émotionnels » alors qu’au fond d’eux-mêmes, ils sont hypersensibles et en souffrent.

Il est très attentif à la cohérence entre les paroles et les actes

Un parent « toxique », selon J. Arcoulin, a l’art de vendre du rêve, de jeter de la poudre aux yeux, faire des promesses que, bien sûr, il ne tient pas. Tout est bon pour semer le trouble, amener l’esprit de l’enfant dans la confusion. Et cela crée même, parfois, un climat de suspicion10. L’enfant va apprendre très vite à valider ou non les propos de son parent auprès de ses amis ou de son entourage. Il va apprendre à être attentif à la concordance des paroles et des actes, à la fidélité des différentes versions d’une même histoire entre elles. S’il trouve de la stabilité ailleurs, l’enfant va rapidement développer son esprit critique et analytique. Ces enfants de parents « toxiques » sont souvent sceptiques et méfiants. Prudents, ils accordent le bénéfice du doute aux autres.

Il a l’habitude d’encaisser sans broncher

Caractéristique liée à une apparente insensibilité comportementale. En effet, comme les enfants de parents « toxiques » comprennent rapidement qu’ils n’ont pas intérêt à montrer leurs émotions, ils semblent encaisser sans broncher ce qui leur arrive. Arcoulin décrira ces enfants comme ayant une grande capacité à rester de marbre face aux événements. En effet, ils peuvent encaisser les insultes, les coups, les reproches sans montrer le moindre signe de réaction. Ils peuvent paraître effacés, même si, intérieurement, c’est l’effondrement10. Ces enfants sont souvent des personnes assez résistantes, capables de s’enfermer dans leur bulle pour se protéger des assauts destructeurs de leur parent « toxique ». Ces enfants ont aussi tendance à affronter les situations seuls, en ne comptant sur personne. Ces personnes rencontrent des difficultés pour exprimer ce qu’elles ressentent émotionnellement. Leur corps pourrait finir par manifester ces traumatismes sous forme de maladie ou de mal-être physique5. Par exemple, cela peut se manifester par un large panel de maladies psychosomatiques comme des maux de ventre, de tête, douleurs musculaires, lombaires, troubles du langage et du développement psychomoteur.

Il minimise très souvent ce qui lui arrive

Ces enfants devenus adultes ont appris à ne pas exprimer leurs émotions. Ils encaissent sans broncher en minimisant ce qui leur arrive. En effet, à chaque problème, ils ont entendu le parent « toxique » lui exprimer que sa situation sera toujours moins grave que ce qu’il vit ou a vécu lui-même. Cependant, ne pas dramatiser et relativiser ne sont pas forcément de mauvaises choses pour J. Arcoulin. En effet, cela peut donner à ces enfants une certaine résistance face aux événements douloureux de la vie. Il peut s’agir d’une stratégie de résilience efficace pour faire face aux événements de la vie. Le problème réside dans l’absence totale de reconnaissance de la souffrance et de la difficulté que vit l’enfant de ce parent « toxique » 2,10.

La victime a le sentiment d’être sujet au « syndrome de l’imposteur »

Le syndrome de l’imposteur est une forme de doute constant qui consiste à attribuer ses réussites, ses accomplissements, son évolution à tout et à tout le monde sauf à soi. L’idée que leurs compétences et leurs valeurs peuvent être à l’origine de leurs succès ne leur traverse même pas l’esprit. Ces enfants pensent que ce qui leur arrive n’est pas le fruit de leurs qualités et de leur travail. Ils vivent avec la peur d’être démasqués, dans la crainte que leur entourage se rendent compte de la supercherie. Une petite parenthèse pour les enfants dits à « haut potentiel » pour qui ce sentiment est fortement ressenti également de façon naturelle. En effet, ces personnes touchées par ce syndrome ont des facilités dans certains domaines. Elles en tirent alors la conclusion que ce qu’elles accomplissent n’est pas dû à leurs compétences. Alors, s’ils sont enfants de parents « toxiques », le sentiment d’être un imposteur est décuplé10,18. La réussite, contrairement à l’échec, n’est pas reconnue entre l’enfant et le parent « toxique ».

Il est également sujet au « syndrome de l’auto- didacte »

Ce syndrome est intimement lié au « syndrome de l’imposteur ». Il consiste à emmagasiner des infos et des connaissances par soi-même, à travers des lectures, des heures de surf sur le net, des conférences et toute autre source d’informations. Cette tendance leur sert à combler le sentiment d’un manque de connaissances et de compétences. Seulement, cela a aussi tendance à renforcer leur sentiment d’imposture (tout comme les enfants ou adultes à haut potentiel). Ces personnes ne sont jamais convaincues de leurs compétences. Ce sentiment est né du fait que le parent « toxique » n’a eu de cesse de leur faire comprendre, subtilement ou pas, qu’ils sont nuls, pas doués, qu’ils n’arriveront à rien. Quoi qu’il fasse, l’enfant de parent « toxique » ne trouvera grâce à ses yeux. Ces enfants ont tendance à faire un travail de sabotage alors qu’ils sont victimes de la projection des propres frustrations du parent « toxique ». Ces enfants ont également la capacité de se remettre en question10.

La victime cherche sans cesse l’amour incondi- tionnel

Un parent « toxique », manipulateur, est incapable d’aimer son enfant de manière bienveillante. Anne-Clotilde Ziegler dira que sa faille narcissique est trop importante12. Il se bat avec son manque d’amour pour lui-même, avec la carence affective provoqué par son/ses parent(s) qui l’a/ ont aimé conditionnellement. Il n’a donc pas appris à aimer inconditionnellement. Pour J. Arcoulin, tant que l’enfant obtempère et se comporte comme il l’entend, il se trouve dans les « bons papiers » du parent « toxique » 10. Mais si l’enfant, devenu adulte, décide d’utiliser son libre arbitre, son esprit critique ou tout autre capacité à le mettre en cause, cela déclenche des conflits où l’enfant est considéré comme ingrat. Un parent normalement constitué, aime son enfant pour ce qu’il est. Il donne de l’amour sans chercher à en recevoir. En aimant son enfant inconditionnellement, il lui donne l’autorisation de s’aimer lui-même, tel qu’il est. Un parent « toxique » fait exactement l’inverse. Dès lors, l’enfant d’un parent « toxique » apprend très vite à s’adapter, à faire profil bas, à être l’enfant parfait, à répondre aux désirs de son parent. Il le fait dans un seul but : être aimé. Il croit que l’amour se mérite et est une forme de récompense pour comportements adaptés. L’enfant de parent « toxique » aura donc tendance à accepter l’inacceptable dans ses relations puisqu’il n’a pas intégré le fait qu’il est aimable pour ce qu’il est. Il n’imagine même pas qu’il puisse être aimé pour ce qu’il est. Qu’il a suffisamment de qualité pour être quelqu’un d’aimable et que, même avec ses défauts, il a le droit d’être aimé. Cet enfant de parent « toxique » court souvent après quelque chose qu’il n’attrapera jamais10,12.

Il souffre de dépendance affective

Cette dépendance, pour J. Arcoulin est la conséquence du fait 10 que l’enfant recherche constamment à être aimé . En tant que dépendant affectif, l’enfant ou l’adulte met ses besoins, ses attentes et son bonheur dans les mains de l’extérieur. Cela engendre chez la personne une mauvaise estime de soi, la peur de la solitude, la peur de l’abandon et du rejet, le fait de ne pas se sentir digne d’être aimé(e), besoin constant de l’approbation des autres, la peur de déplaire, cherche à combler ses besoins auprès et par autrui. Pour être aimé, la personne dépendante affective fait des choses en total désaccord avec lui-même et ses valeurs.

Qu’en est-il de l’enfant de parent(s ) « toxique(s) » face à lui-même ?

Nous avons vu comment un enfant de parent « toxique » s’est développé et se comporte avec son entourage dans le chapitre précédent. Qu’en est-il de la relation de l’enfant de parent « toxique » par rapport à lui-même ? Quels sont les sentiments qui l’habitent intérieurement ?

L’enfant a tendance à se culpabiliser

Le parent « toxique » et manipulateur, selon I. Nazare-Aga est un as de la culpabilisation qu’il utilise pour se défaire de ses responsabilités et les faire porter par quelqu’un d’autre2. L’objectif est de se victimiser afin de rendre sa victime redevable. En effet, la culpabilité est un sentiment de « toute-puissance ». Se « sentir coupable », c’est avoir l’impression que l’autre ne s’en sortira pas sans nous, que nous sommes responsables de ses actes, de ses échecs, de ses réussites, et donc que lui ne l’est pas. Cela crée une dépendance relationnelle « culpabilisateur- culpabilisé ». Dans cette perspective, la culpabilité empêche chacun de prendre ses responsabilités et seulement les siennes (attention de ne pas confondre avec le fait de se remettre en question qui est une qualité). Ce qui est important, d’après J. Arcoulin, c’est de ne pas porter ce qui ne nous appartient pas et d’apprendre à se demander, si l’on se sent coupable de quelque chose, s’il s’agit bien d’une responsabilité qui nous appartient10.

Il a aussi la peur de décevoir son parent

Cette peur est liée à la « suradaptabilité » et à « la quête d’amour inconditionnel » que nous avons évoqué plus avant. Se « suradapter » signifie donc tout faire, au détriment de ses propres besoins et envies, pour se conformer, répondre aux attentes et plaire à l’entourage. C’est un besoin devenu vital pour l’enfant d’un parent « toxique ». Il apprend jusqu’à s’oublier et s’ignorer totalement. Très tôt, l’enfant va comprendre l’injonction d’« être parfait » sinon, il provoquera des réactions de déni, de rejet , de violence, de dévalorisation, de chantage, de culpabilisation de la part de son parent « toxique ». Ces enfants et adultes seront sensibles aux critiques, à ce que l’on pense d’eux, aux feed-back qu’ils recevront. Ils auront à cœur de satisfaire tout le monde pour avoir un retour positif et se sentir « aimé ». Ils seront très attentifs à tout ce qui leur prouve qu’ils sont appréciés. Ce seront des personnes qui auront du mal à dire « non » et à poser des limites2,10.

Cet enfant est souvent en état d’hypervigilance

Quand on parle d’hypervigilance, nous devons penser au syndrome du stress post-traumatique. Le SSPT est un trouble anxieux qui se manifeste à la suite d’un ou plusieurs événements vécus comme traumatisants19. C’est une réaction psychologique qui survient après une situation durant laquelle son intégrité physique et/ou psychologique a été menacée et qui laisse souvent une trace émotionnelle, physique et psychologique. On appelle cela « une mémoire traumatique ». Plus tard, lorsque quelque chose rappelle cette expérience, des tensions physiques se manifestent : anxiété, inconfort. Confrontés à des stimuli rappelant l’expérience vécue antérieurement, le cerveau et le corps se mettent en état de vigilance pour éviter de revivre l’événement. Ces phénomènes se manifestent par des reviviscences (images intrusives ou flash-backs de l’événement, des cauchemars), des évitements et des réactivations neurovégétatives20. Chez les enfants, on peut trouver des comportements immatures (régressifs : enfant « collant », « agrippant » ou qui a difficile à s’endormir), de l’agressivité, des jeux ou des dessins remettant en scène de manière répétitive l’événement traumatique ou des thèmes qui y sont associés19. Un enfant (ou adulte) en hypervigilance est constamment au niveau le plus élevé de la menace, et ceci même s’il n’y a pas vraiment d’éléments objectifs permettant de se sentir en danger. Tout est sujet à anticipation négative. Ces personnes, enfants et adultes, souffrant d’hypervigilance peuvent avoir le sentiment de se sentir seules, abandonnées, stressées, incomprises, irritables, fatiguées, perdues, constamment en danger. Elles doutent de tout. Elles peuvent être insomniaques. Elles peuvent rencontrer des difficultés pour se concentrer et ont très souvent une estime de soi très affaiblie : elles se trouvent nulles, bêtes, invivables, ont honte et ont le sentiment d’être coupable de tout. C’est une des conséquences les plus dramatiques que peuvent connaître les enfants d’un parent toxique2,10,20.

Il a également tendance à être anxieux

L’anxiété est la suite logique de l’hypervigilance. Comment ne pas développer de l’anxiété face à un parent qui bride, punit (trop) souvent, déprécie, fait porter les responsabilités qu’un enfant n’a pas à porter s’interroge J. Arcoulin10. L’enfant (ou adulte) d’un parent « toxique » a peur d’un tas de choses : ne pas plaire, faire quelque chose de travers, commettre une erreur, avoir un comportement inadéquat, se faire gronder et/ ou punir, ne pas être apprécié. Il a tendance à tout anticiper. Il s’adapte et fait tout ce qui est en son pouvoir pour répondre aux attentes de son parent « toxique » alors que c’est peine perdue. Le parent « toxique », par définition, ne sera jamais satisfait puisque son mécanisme l’empêche de reconnaître les qualités de l’autre. Le parent « toxique » met une telle pression sur son enfant que celui-ci ne peut jamais relâcher la tension5,10.

Et aussi, il a tendance à ruminer

Entre l’hypervigilance et l’anxiété, vient se glisser la rumination. L’enfant apprend à anticiper, à douter, à (trop) penser, à réfléchir, à refaire le scénario des dizaines de fois, à regretter... pour être sûr de ne pas se tromper. Il se demande constamment s’il a bien fait de repasser dans sa tête le film d’une situation ou d’une discussion avec son parent « toxique », d’analyser, de décortiquer. Adulte, c’est le même processus cognitif du cercle vicieux du maintien de l’anxiété par la rumination. Il repasse tout en boucle en se demandant s’il est fou, si le problème vient de lui, si son parent « toxique » n’a pas raison finalement. Enfin, sa pensée est dirigée et consacrée à tout ce qui se passe autour et avec le parent « toxique ». C’est une conséquence de l’emprise, dans la mesure où le parent « toxique » s’infiltre et s’invite dans les pensées de la victime. Le parent « toxique » s’arrange pour que l’enfant ou l’adulte ne puisse plus penser par lui-même, qu’il doute, qu’il culpabilise. Difficile donc de ne pas tomber dans les ruminations10. En définitive, ce qui maintient ce mécanisme interactionnel à rétroaction négative s’explique ici par le fait que l’enfant ne peut s’autoriser à ne pas satisfaire son parent « toxique ».

L’enfant est rongé par le sentiment d’injustice

Tout ce que dit (sur ses besoins, ses envies, sa vision des choses) ou fait un parent « toxique » est basé sur lui et lui seul. Jamais il ne se remet en question. Il fait porter ses responsabilités sur les autres, les culpabilise. Il ne tient compte de l’avis de personne. Il condamne, juge, critique, dévalorise coûte que coûte. Rien ne tient la route. Rien n’est équitable. Rien n’est équilibré ou honnête. Rien n’est rationnel et objectif. Tout est toujours fait, pensé, décidé en fonction du parent « toxique ». Un enfant de parent « toxique » n’a pas vraiment d’enfance car il grandit trop vite et porte des responsabilités trop tôt. Il n’a pas la chance d’avoir deux parents « sains et aimants ». Il a dû se sacrifier au profit de son parent « toxique » et ce parent, n’a jamais tenu compte de lui, de ses besoins, aussi primaires soient-ils. Avec un parent « toxique », il faudra choisir entre la vérité et la paix, entre la justice et la liberté, entre la reconnaissance de ses souffrances et la reconstruction. Avoir un parent « toxique », c’est faire le deuil de ce qui est juste et vrai pour goûter à la liberté et la paix. C’est profondément injuste et douloureux2,10. Autrement dit, l’enfant se retrouve dans un véritable dilemme existentiel et champs de bataille ; me respecter et oser dire non à être instrumentalisé par mon parent « toxique » (rejet de l’autre) ou rester dans les bonnes grâces en conservant son sentiment d’appartenance à sa famille au détriment de mes envies, ressentis et projets personnels (rejet de soi).

L’enfant a un profond manque de reconnaissance

L’enfant d’un parent « toxique » manque de beaucoup de choses. Nous pouvons parler de carences attentionnelles et affectives. En effet, un tel parent s’applique à détruire son enfant par tous les moyens. En quelque sorte, il l’empêche d’exister. Les états d’âmes de l’enfant du parent « toxique » ou de l’adulte qu’il deviendra sont rejetés. Ses besoins sont ignorés. Ses émotions sont utilisées contre lui ou même niées. Sa personnalité est annihilée. Rien de ce que fait l’enfant ou l’adolescent ou même l’adulte existe. Tout simplement, rien n’est reconnu, encouragé, aimé ni respecté. Il ne reçoit ni compliment, ni valorisation et encore moins une minute d’écoute. Ce besoin de reconnaissance vient également du fait que tout ce que l’enfant du parent « toxique » fait, c’est dans l’espoir d’être aimé. L’enfant de parent « toxique » a besoin de beaucoup de reconnaissance et a difficile à croire aux signes de celle-ci, puisqu’il a appris à se méfier et à interpréter les signes de reconnaissance comme annonciateurs de manipulation2,10.

L’enfant a une faible estime de lui-même

A la lecture de tout ce qui précède, l’estime de soi de l’enfant ou de l’adulte qu’il est devenu est écorchée vive. Toutes les armes utilisées par le parent « toxique » ont pour objectif d’anéantir l’essence même de sa proie (conjoint(e) ou enfant). Des études montrent que des parents qui ridiculisent leurs enfants, les humilient ou les punissent lorsqu’ils ne réussissent pas quelque chose, leur en demandent trop et se désintéressent d’eux, nuisent fortement à l’estime de soi2,10.

Il est en perte d’identité et a l’impression de n’être rien

A force de s’entendre dire qu’« il n’est rien », de sentir que ses besoins sont moins importants que ceux de son parent « toxique », d’être réduit à servir les intérêts de son parent, l’enfant du parent « toxique » ne sait pas qui il est en réalité. En effet, comme l’explique Arcoulin, le parent « toxique » ne tient pas compte de son enfant, car sa priorité, c’est lui-même10. Son but est de garder le pouvoir et son enfant sous emprise pour en faire un pantin servant sa cause et sa faille narcissique, tout au long de sa vie. Par conséquent, la construction de l’identité de l’enfant peut être difficile.

L’enfant de parent(s) « toxique(s) » face à son parent

Après avoir parcouru toutes les façons dont l’enfant, qui a grandi avec un parent « toxique », dans une relation malsaine et dysfonctionnelle instaurée par ce dernier, peut se comporter face à son entourage, par rapport à lui-même mais lorsqu’il est confronté à son parent « toxique », qu’en est-il, comment réagit-il ?

L’enfant, victime, se sent responsable de son parent

En effet, le parent « toxique » a fait porter très tôt, à son enfant, les responsabilités qu’il était incapable d’assumer. Dès lors, il justifie ce transfert de responsabilité en invoquant l’éducation21 : telle charge sera plus tard une grande utilité à son enfant. Parfois, c’est plus subtil. L’enfant apprend à prendre en charge des choses que jamais un enfant ne devrait avoir à faire. Il est très souvent garant de nombreuses choses, telles que la moralité, la gestion de la famille, les comptes, les stocks alimentaires, la crédibilité de son parent, le sommeil, les factures, les finances. L’enfant apprend à jouer un rôle de garantie aux yeux des autres : il acquiesce quand les histoires racontées sont vraies et fronce les sourcils quand elles s’éloignent de la vérité. Ces enfants sont en réalité des adultes aux épaules larges. Ils savent gérer beaucoup de choses en même temps. Ils sont débrouillards et ont l’esprit vif10. De même, nous pouvons plus communément parler de parentification lorsque le ou les parents attendent de leur enfant d’occuper à certains moments donnés, un rôle de soigneur pour son propre parent en assumant la responsabilité de tâches inappropriées à son âge réel. L’enfant élevé par un parent « toxique » devient souvent parentifié. Par définition, la parentification est un processus par lequel un enfant est amené à prendre des responsabilités disproportionnelles par rapport à son âge1. Il devient, en quelque sorte, le parent de son parent21. Si la parentification est transitoire et reconnue, elle n’est pas nocive pour l’enfant. L’enfant face à la détresse de son parent, va vouloir combler ou réparer les blessures de son parent « toxique ». Ce dernier va utiliser la culpabilisation, le chantage affectif et même le chantage au suicide et sa position de victime pour obtenir l’aide et le soutien de son enfant qui tombe dans le piège 1,21

Il protège le parent (surtout de lui-même)

L’enfant se sent responsable et a peur de laisser son parent (toxique) à son sort, parce qu’il sait que c’est un mauvais gestionnaire, qu’il se laissera aller, qu’il se mettra en danger, et qu’il y a tant d’autres possibilités encore. Il ne veut pas seulement le protéger des autres, mais surtout, il veut se protéger de lui-même et de ses mauvais choix. Il va même parfois en arriver à « le couvrir » pour le protéger, tiraillé entre des décisions qu’il ne devrait jamais prendre. Enfin, il finit par croire que s’il n’est plus là pour aider son parent (toxique), sa vie va s’effriter et il se mettra dans des situations invraisemblables et dangereuses. Il pense qu’il est investi de la mission d’être, pour son parent, un « garde-fou » se sentira dans l’obligation morale de devoir être le garant, le soigneur de ce dernier.

Cet enfant, victime, se sent très souvent rede- vable envers ce parent

La culture judéo-chrétienne, se rangeant du côté du parent « toxique », l’enfant (devenu adulte) entend de façon récurrente de la part de son entourage, prononcer des phrases comme : « oui mais ça reste ton père/ta mère ». Sous-entendu : « Quoiqu’il/elle fasse, tu dois le/la respecter » ; « ne pas couper le contact, être là pour lui/elle et supporter ce qu’il/elle fait ». Arcoulin dira que les outils utilisés par le parent « toxique » pour asseoir son emprise et son pouvoir, entre la culpabilisation, la victimisation, le chantage affectif et les doubles contraintes, font qu’il est difficile pour un enfant d’un parent « toxique » de ne pas se sentir redevable10.

Il connaît un conflit de loyauté

Pour les enfants de parents « toxiques », devenus aussi des adultes, il n’est pas rare qu’ils s’en veuillent d’avoir fait du mal au parent d’en face (le parent sain) alors qu’ils ne pouvaient faire autrement. Le conflit de loyauté dans lequel l’enfant se trouve (ou peut-être est-ce encore le cas, une fois devenu adulte) est une conséquence de l’emprise du parent « toxique ». En effet, l’enfant ne peut y voir clair, lutter, « privilégier » l’autre parent parce que sa nature profonde est de se faire aimer par ce parent « toxique ». C’est un réflexe naturel, personne ne peut lui en vouloir pour ça et certainement pas l’enfant (devenu adulte) lui-même2,10. Ce processus interactionnel problématique peut également s’étendre aux relations sociales, aux réseaux interpersonnels par lesquels l’enfant devenu adulte, répète ce mode interactionnel suradapté et de loyauté causée entre autre par ce besoin carentiel d’amour et de reconnaissance d’appartenance sociale.

Il est très souvent dans la suradaptation

Comme nous l’avons déjà mentionné précédemment, se construire avec un parent « toxique », c’est un peu comme partir en mer sans connaître la météo. On n’est jamais prêt à ce qui va se passer. C’est faire face à l’instabilité, l’incohérence, au changement incessant, au chantage, à la culpabilité, aux mensonges, aux inventions et au bourrage de crâne. Il est impossible de satisfaire son parent « toxique », quoi que l’on fasse. Dès que l’enfant maitrisera un apprentissage, le parent « toxique » le déstabilisera sans cesse. Pourtant, l’enfant va toujours chercher à se faire aimer de son parent « toxique » et à le rendre fier de lui. L’enfant éprouve un besoin de reconnaissance parentale et familiale. Donc, pour J. Arcoulin, la stratégie de survie mise en place par l’enfant sous l’emprise d’un parent « toxique », est la « suradaptation »10. Tant que l’enfant (même devenu adulte) n’a pas compris qu’il a le droit de se respecter, qu’il ne faut pas répondre à toutes les attentes des autres au détriment de ses propres besoins, il y a de bonnes chances qu’il soit toujours serviable à l’extrême. Ces personnes ont une incroyable capacité d’adaptation, puisqu’elles ont pris l’habitude de devoir être plus performantes que des 10 caméléons .

COMMENT UN ENFANT D’UN PARENT « TOXIQUE » PEUT-IL SE RECONSTRUIRE APRÈS AVOIR VÉCU SOUS SON EMPRISE ?

C’est un soulagement de savoir que quiconque ayant vécu sous l’emprise d’un parent ou d’un conjoint « toxique » peut s’en sortir. Le travail de reconstruction peut être long ou ne pas l’être. L’essentiel est de savoir que chaque personne, chaque situation a son rythme propre à lui-même et, qu’il est important de le respecter. Chaque jour, sur ce chemin de la reconstruction et de la libération, allège du poids de la toxicité et de la nocivité du parent toxique. Pour cela, il y a certaines étapes à réaliser comme faire le deuil symbolique d’un parent encore vivant. On aide la personne à reconnaître sa souffrance personnelle si longtemps enfouie, étouffée en soi-même. Le patient apprend à renoncer au parent idéalisé ou fonctionnel et à la limite des interactions possibles. Il y a aussi une réflexion à faire sur les chaines relationnelles à briser et les croyances à réévaluer et surtout, il y a de l’amour à apprendre à se donner à soi-même et pour soi-même. Il est important, dans cette démarche, de se faire accompagner par un thérapeute qui est informé, voire formé, sur cette problématique et qui, surtout, la comprend. Pour vous accompagner sur ce chemin5,10,14 nous proposons dès lors des pistes, des réflexions, peut-être des solutions. Chacun a le choix de trouver ce dont il a besoin en s’interrogeant.

La reconstruction personnelle : quels sont les deuils qu’un enfant de parent « toxique » doit apprendre à faire ?

Le deuil d’un parent encore vivant

En effet, pour J. Arcoulin, il ne faut pas s’attendre à ce que l’amour partagé comble le vide de l’absence10. Si amour il y a, il est à sens unique et il vient principalement de l’enfant (ou de l’enfant devenu adulte) que nous sommes. Ce qu’il faudra combler, ce sont les vides de la déficience de ce parent aussi toxique que le plus mortel des poisons. Couper les ponts avec ce parent « toxique » est vital pour la survie de l’enfant autant que pour l’enfant devenu l’adulte

Le deuil de la relation

Apprendre à faire le deuil de ce que l’enfant était en droit d’attendre, des efforts qu’il a fournis pour que ça « aille mieux », de ce lien auquel il tenait car c’était son parent ou, en tout cas, il était censé être. Une relation, ça se travaille, ça s’entretient, ça se chouchoute explique J. Arcoulin (2016).

Le deuil de l’espoir

L’enfant (devenu adulte) a mis « longtemps » à admettre, à comprendre, à voir que son parent était toxique. C’est parce que cet enfant avait toujours l’espoir de le changer en comptant sur sa capacité de remise en question, fait remarquer J. Arcoulin10. Animé et habité par le bon sens et son espoir, l’enfant de parent(s) « toxique(s) », ne peut pas imaginer qu’une personne qu’il considère comme intelligente, ne puisse pas avoir le même bon sens que lui, qu’elle continue à nier l’évidence.

Deuil de l’amour inconditionnel de son parent « toxique »

L’enfant devenu adulte va devoir apprendre à admettre qu’un parent puisse ne pas aimer son enfant de manière inconditionnelle et/ou ne l’aime pas tout court, explique Hélèbe Vecchiali14. En effet, notre société judéo-chrétienne dans laquelle nous vivons ne donne pas le droit de penser cela. Ce qui complique encore plus cette réalité. Faut-il pardonner ou non ?

Le deuil des parties de soi blessées

Les blessures sont nombreuses. L’égo souffre. L’enfant a appris à se construire en tentant d’éviter les balles, mais en en prenant tout de même. Chaque petit morceau de lui, touché par ce parent « toxique », doit être pansé et guéri. Ces enfants perdent des petits bouts d’eux-mêmes en grandissant. Ou bien, ils ne développent pas certains aspects de leur personnalité pour se suradapter et se faire aimer10. Ces parties-là, selon Hélène Vecchiali14, pourront éclore si une prise de conscience s’est faite et que l’enfant (adulte) se donne les autorisations nécessaires.

Le deuil de ce que le parent n’est pas

L’enfant (et l’adulte qu’il est devenu), doit apprendre à accepter ce que le parent toxique « est » et aussi « ce qu’il n’est pas ». En effet, selon Arcoulin, pour que ce deuil puisse se faire, il est important que l’enfant d’un parent « toxique » abandonne la recherche de ce qu’il ne recevra jamais de son parent10.

Le deuil de l’entourage encore sous emprise

Quand l’adulte désire rompre les liens avec son parent « toxique », malheureusement, et c’est souvent le cas, le reste de l’entourage reste sous l’emprise. Dans ces conditions, l’enfant (et même l’adulte qu’il est devenu) du parent « toxique » se sent davantage plus seul. D’autant qu’en plus de faire le deuil de son parent, il doit aussi faire le deuil de sa fratrie (s’il en a une), de sa famille (cousin(e)s, oncles et tantes, ...), de son entourage (ami(e)s). Il sera incompris et jugé. Il sera culpabilisé et souvent rejeté. Parfois, « couper les ponts » avec le parent « toxique » veut également dire « couper les ponts » avec les autres parents (le parent « sain », la famille, les ami(e)s...) encore sous emprise10.

Le deuil des reconnaissances

En effet, il s’agit ici de plusieurs reconnaissances d’après J. Arcoulin : reconnaissance de la souffrance de l’enfant, reconnaissance de tout ce qu’il fait pour être aimé de son parent, reconnaissance de toutes les injustices, de toutes les atrocités qu’il vit ou a vécu (les abus, le climat incestuel,...)10. Le parent « toxique » ne donnera jamais cette reconnaissance. S’il la donne, elle sera déguisée et toujours accompagnée d’un « oui mais, j’ai souffert plus que toi ».

Le deuil de la justice

Il peut être considéré comme le deuil de tous les deuils car si tous les points évoqués précédemment ont comme point commun l’injustice, quand le parent « toxique » n’est pas puni pour ses actes (abus, maltraitance psychologique, lorsque l’entourage est aveugle et condamne la mauvaise personne (souvent l’enfant ou l’adulte pour ses prises de positions)10, arriver au bout de ce processus de deuils n’est pas simple, selon elle. Il est important que l’enfant (ou bien l’adulte qu’il est devenu) d’un parent « toxique » apprenne à être patient et bienveillant envers lui-même. Chacun a son rythme et il est à respecter. Même si pour certains ces deuils ont l’air insurmontables, l’important est de ne jamais s’avouer vaincu. Un jour, quelqu’un (un thérapeute, un(e) ami(e)...), une phrase, un mot fera le déclic.

Les croyances qu’il faudrait nettoyer

Le parent « toxique » a tôt fait d’apprendre à son enfant des croyances, des représentations toutes faites sur ses opinions, valeurs et perceptions personnelles afin d’asseoir son emprise. Mais ces croyances n’appartiennent pas à l’enfant ou à l’adulte qu’il est devenu. Elles appartiennent au parent « toxique » qui les y a mises. Le parent « toxique » a usé de tous ces outils de prédilection comme arme de destruction massive pour convaincre l’enfant de sa soi-disant médiocrité (chantage affectif, les doubles contraintes, la projection des propres défauts du parent toxique sur l’enfant) et ce, depuis sa naissance1,10. Dès lors, l’enfant a développé toute une série de croyances non seulement celles liées aux expériences faites avec son parent « toxique » qui sont ancrées chez l’enfant ; mais il y a aussi celles qui se sont développées par déduction. Ces croyances sont devenues totalement limitantes dans la construction de l’enfant pour son épanouissement psychiqu et développemental. Il existe deux types de croyances d’après J. Arcoulin : les limitantes qui bloquent l’enfant dans sa réalisation et l’empêche d’avoir confiance en lui (ex. « je ne mérite pas de  réussir », « je n’y arriverai jamais », « on ne peut faire confiance en personne », « je n’ai pas le droit de dire non », « c’est quand même mon père/ma mère », « je dois faire passer les désirs des autres avant les miens »...) ; et les aidantes (« Je suis capable d’atteindre mes objectifs », « je me sortirai de tout », « j’ai le droit d’être heureux(se) dans tous les domaines »...) qui poussent l’enfant, lui donnent confiance et le soutiennent croyances limitantes sont souvent alimentées par l’entourage. Qui a dit qu’être parent donne le droit de maltraiter son enfant ? Qui a dit qu’un enfant est obligé d’accepter les mauvais traitements physiques ou psychologiques sous prétexte que c’est son parent qui en est l’auteur ? Qui donne la légitimité des propos limitants du parent « toxique » ? Dès lors, comment se débarrasser de ces croyances ? Tout d’abord, il est important d’identifier la croyance ancrée dans notre esprit. Apprendre, ensuite, à reconnaître les stratégies de survies mises en place : il s’agit d’une capacité d’adaptation que l’enfant ou de l’enfant devenu adulte crée pour s’adapter à la situation. Enfin, voir quelle qualité cette stratégie de survie a-t-elle permis à l’enfant du parent « toxique » de développer ? Par exemple : la disponibilité, l’amabilité, les sentiments sincères, etc... Cela permet de voir le bon côté des choses quand une expérience négative peut être transformée en expérience positive. Cela permet aussi à l’enfant du parent « toxique » de prendre conscience de ses ressources, de sa valeur et de ses qualités14.

 

La résilience

Boris Cyrulnik définit la résilience comme la capacité de se remettre à vivre normalement ou le mieux possible, après un traumatisme. Cette notion est une des clés de la reconstruction. Il identifie différentes façons d’aider une personne à augmenter sa capacité de résilience en fonction du moment. Il y a trois moments : avant le traumatisme, pendant le traumatisme et après le traumatisme22.

Avant le traumatisme

En tant que thérapeute ou personne de l’entourage d’un enfant (ou d’un enfant devenu adulte) de parent « toxique », nous pouvons l’amener à comprendre qu’il peut compter sur d’autres personnes pour l’aider. En effet, pour Cyrulnik, la qualité des liens tissés est plus importante que la personne avec qui22l’enfant les tisse . Dès lors, si un parent est toxique, il n’est pasnécessaire de le laisser dans le paysage de l’enfant. Tant que l’enfant trouve sur son chemin des « tuteurs de résilience », il peut créer des liens et un tissu social, puis démarrer son processus de résilience sur un terreau suffisamment fertile. Ce dont l’enfant a besoin, c’est de se sentir sécurisé et en sécurité. Le parent « toxique » ne peut pas lui offrir cela. Les personnes de son entourage le peuvent. Il est important qu’il puisse devenir l’acteur de ce lien social dont il a besoin et demander de l’aide.

Pendant le traumatisme

Quand un événement traumatisant survient, il arrive que la personne touchée se sente acculée et ait la sensation qu’elle n’arrivera jamais à surmonter cela. Il est important de garder espoir et de toujours se dire qu’il y a des solutions, que ça va aller, que c’est possible de s’en sortir. L’entourage doit réaffirmer son soutien et sa bienveillance, être présent et entourant et aussi encourager, donner confiance et répéter inlassablement que les ressources nécessaires sont à l’intérieur de chacun de nous. Il est nécessaire de sortir de l’isolement et d’éviter les ruminations en s’entourant de bonnes personnes avec qui on peut mettre des mots sur ses maux. Dans le cas de parent(s) toxique(s), les agressions (au sens large du terme) sont commises au sein même de la famille. B. Cyrulnik explique que dans le cas de traumatismes intrafamiliaux, il y a deux cas de figure : celui où l’enfant a pu tisser des liens avant le traumatisme (la résilience, dans ce cas sera plus facile) ; et celui où l’enfant n’a pas pu tisser de lien avant son traumatisme et là, les choses se compliquent22. L’enfant (ou l’adulte qu’il est devenu) du parent « toxique » deviendra alerte, hypervigilant, se sentira constamment en danger alors qu’il n’y a plus de danger. Tout deviendra traumatique puisque tout est agression. L’enfant (ou cet adulte) développera un état de méfiance, de l’anxiété, de l’anesthésie émotionnelle (a-lexi-émotionnel).

Après le traumatisme

Si l’on est face à un enfant ou un adulte qui ne s’exprime pas, il est important de lui dire que nous savons que c’est difficile pour lui de parler pour le moment et que ce n’est pas grave. Le jour où ce sera le moment, on sera là pour lui. Les enfants d’un parent « toxique » ont besoin d’une présence sécurisante et rassurante. Il est important de donner du sens à ce qui est arrivé et à ce qui arrive encore à l’enfant d’un parent « toxique ». Il existe des petites choses simples pour augmenter sa capacité de résilience : avoir un bon réseau social. Le tissu social et relationnel est un élément important dans les facteurs qui favorisent la résilience. La certitude de pouvoir compter sur des proches ou des personnes ressources (comme un psy, par exemple) est un pouvoir. Augmenter sa confiance en soi, quand elle a été détruite par un parent « toxique », ce n’est pas facile. Il appartient à l’adulte qu’il est devenu de la (re)construire. Lire des sujets, faire des exercices proposés sur ce thème aide à la reconstruction. Apprendre à l’enfant ou à cet adulte à se reconnecter à ses propres ressources qui sont en lui. Avoir un parent « toxique » aura permis à l’enfant de développer un tas de stratégies de survie. On peut l’aider à les voir comme des ressources et l’accompagner à faire un exercice de nettoyage de ses croyances (voir ci-dessus). Il est important de lui apprendre à toujours voir le verre à moitié plein que le contraire. La capacité de résilience va dépendre du regard que nous portons sur les choses. Tout ça pour faire prendre conscience que nous avons tous la possibilité d’agir et de changer notre regard sur les choses. Plus on a tissé de liens, plus on a de capacité à enclencher le processus de résilience. Et même si on est seul, tout n’est pas perdu. Pour Hélène Vecchiali, nous avons d’autres ressources comme l’écriture (tenir un journal intime), l’art thérapie, l’art... qui aident à la résilience et à sortir de l’emprise d’un parent « toxique »14. Adulte, il peut également chercher un groupe de parole où il pourra déposer sa souffrance et trouver un écho. Des techniques de désensibilisation ou d’atténuation de l’affect comme l’EMDR23, les techniques de la psychologie de l’énergie (TCM, EFT, TAT, ...), les approches cognitivo-comportementales centrées sur les traumatismes24, la Thérapie sensori-motrice25, le Somatic Experiencing26 et bien sûr les nombreuses techniques d’atténuation de l’affect utilisées en hypno-analyse ou l’hypnose, l’EFT, la Lifespan Integration27 sont des outils intéressants pour les personnes20 ayant subi des traumatismes . Nous sommes tous les premiers acteurs de notre reconstruction.

CONCLUSION

Dans cet ouvrage, nous avons vu que la toxicité relationnelle dans laquelle est prise la victime (enfant ou adulte) d’un parent « toxique » est un véritable fléau qui peut empêcher ceux-ci de se construire. En effet, nos différentes lectures psychanalytiques et systémiques nous ont par ailleurs révélés que les carences affectives, la mauvaise estime de soi, le sentiment de culpabilité sont des blessures qui marqueront à vie l’enfant et l’adulte en devenir et ainsi créer ou non un risque d’une pathologie relationnelle. A cet égard, nous avons été frappés par les similitudes entre différentes pathologies psychiatriques invalidantes tels que les troubles bipolaires, l’alexithymie, la pathologie paranoïaque versus les comportements narcissiques et pervers de la personnalité du parent « toxique ». En effet, la notion de « pervers manipulateur narcissique » est, tout comme d’autres concepts à l’instar du « burn out » devenu un concept « bateau » à faible falsifiabilité pour laquelle cet article a nécessité de faire la distinction, au préalable, avec d’autres pathologies sous-jacentes et ainsi éviter des amalgames dans les entretiens cliniques. C’est la raison pour laquelle, le terme « toxique » a été choisi car il est un concept qui nous semble plus « neutre ». Par conséquent, ces troubles ne sont pas à confondre, afin de discerner ce qui est de la pathologie et ce qui est du toxique, et ainsi éviter tout amalgame dans la proposition de diagnostic lors de la consultation.

A travers cet ouvrage, nous avons cherché à comprendre : comment le parent « toxique » met-il son enfant sous emprise ? Par cette première approche, nous constatons différentes phases relationnelles mises en place par le parent « toxique » : la phase de lune de miel, la phase de doute et de déstabilisation, l’isolement, les cadeaux empoisonnés, les flatteries excessives, l’instillation du flou, la double contrainte, le changement constant d’opinion, le timing, la répétition et le conditionnement, les menaces en tout genre, l’effet de surprise, la culpabilisation et enfin la victimisation. Ces différentes phases sont toutes reliées les unes aux autres par des schémas cognitifs, réseaux comportementaux dysfonctionnels afin d’assurer au parent « toxique » son pouvoir et sa survie. Dans une seconde approche, nous avons abordé les caractéristiques psychologiques et cognitivo-comportementales d’un enfant de parent « toxique ». Il est apparu qu’en général, il est difficile pour l’enfant de montrer ses émotions et ses sentiments. Ce dernier est très attentif à la cohérence entre les paroles et les actes. Il peut aussi souffrir de différents syndromes (imposteur et autodidacte). Et malheureusement, il est en constante recherche de cet amour inconditionnel qui lui sera refusé par son parent « toxique ». Le risque étant de développer un syndrome post-traumatique qui l’amènera à être dans un état d’hypervigilance constante développant souvent des troubles anxieux (rumination, troubles obsessionnels compulsifs, ...). Souvent rongé par le sentiment d’injustice, il souffrira également d’un profond manque de reconnaissance, d’estime de soi. Il aura souvent cette sensation de perte d’identité et l’impression de n’« être rien ». En réaction, il aura tendance à se sentir responsable de ce parent (parentification) et le protègera (surtout de lui-même). Plus précisément, il y a une forme de redevabilité (dette) inscrit envers ce parent activé par les remarques de l’entourage. Le conflit de loyauté et la suradaptation sont bien entendu au rendez-vous. Pour tenter, malgré tout à répondre à tout cela, l’enfant ou l’adulte qu’il est devenu, va devoir apprendre à faire des deuils relationnels : le deuil d’un parent encore vivant (un parent qui ne considère pas son enfant dans son identité personnelle), deuil de la relation, deuil de l’espoir, deuil de l’amour inconditionnel, deuil des reconnaissances, deuil de la justice... Mais surtout, pour sortir de ce mode relationnel toxique, il faudra qu’il apprenne à nettoyer certaines croyances ancrées et alimentées par l’entourage : faire face à des croyances limitantes pour enfin créer des croyances aidantes. Et puis, vient la résilience : cette capacité à rebondir et se permettre de vivre normalement après ces drames traumatiques. Enfin, nous aimerions insister sur le postulat selon lequel tant qu’il y a des forces de vie, tout traumatisme (psychologique, physique) est guérissable, aussi sordide qu’en soit le contenu. Nous savons aujourd’hui que la plasticité cérébrale permet de remanier les réseaux neuronaux de façon infinies20. Les enfants et adultes victimes d’un parent « toxique », ne doivent jamais oublier que ce parent, n’a tout compte fait, que le pouvoir qu’ils lui accordent.

REMERCIEMENTS

Au terme de ce travail, je tiens à remercier mon mari, le Docteur Daniel Duray, mes enfants et mes ami(e)s proches pour leur patience et leur soutien. Je tiens particulièrement à remercier le Pr Pascal Janne pour son enthousiasme, ses précieux conseils et son soutien au cours de l'élaboration de ce travail.

RÉFÉRENCES

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AUTEUR CORRESPONDANT :

CARINE DURAY-PARMENTIER

Centre de Psychothérapie de Namur,

Rue des Œillets, 25 5020 Vedrin (Namur)

E-mail : carine.durayduray@gmail.com

 

 

Duray-Parmentier Carine,   Nielens Noémie, ACTA PSYCHIATRICA BELGICAN° 118/3201916-30

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