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Le Jardin d'une PSY

Découverte d'articles scientifiques récents, réflexions et débats sur divers sujets ou spécialités : la crise sanitaire "COVID-19"; l'Approche Multidisciplinaire de l'abus sexuel, l'inceste, les maltraitantes (abus psychologique, sexuel, ...), violence familiale et conjugale; les Personnes "toxiques", les Troubles alimentaires;.... Des sujet écrits par moi, par d'autres qui se veulent d'être des outils de travail, de partage, d'information..., Carine Duray

D'Oedipe à Freud...quand l'Inceste reste le secret familial le plus tabou. Comment le thérapeute peut-il entendre le patient sans lui faire de mal ? Comment ne pas brutaliser le patient en l'aidant à mieux se comprendre ? Comment le thérapeute peut-il gérer sa "caisse de résonance" émotionnelle face à l'inentendable ? - Carine Duray, UCL,2012

Publié le 25 Mai 2020

D'Oedipe à Freud...quand l'Inceste reste le secret familial le plus tabou. Comment le thérapeute peut-il entendre le patient sans lui faire de mal ? Comment ne pas brutaliser le patient en l'aidant à mieux se comprendre ? Comment le thérapeute peut-il gérer sa "caisse de résonance" émotionnelle face à l'inentendable ? - Carine Duray, UCL,2012

D’Œdipe à Freud...quand l’Inceste reste le secret familial le plus tabou.

Comment le thérapeute peut-il entendre le patient sans lui faire de mal ?

Comment ne pas brutaliser le patient en l’aidant à mieux se comprendre ?

Comment le thérapeute peut-il gérer sa « caisse de résonance » émotionnelle face à l’inentendable ?

Carine Duray, UCL, 2012

Il y a des rencontres qui changent une vie. J’ai la possibilité d’exercer un métier que j’aime, que j’apprécie de faire et qui me permet d’apporter aux autres, une compréhension, une amélioration à leur souffrance.

Introduction.

C’est avec un regard de systémicienne que je vais aborder, tout au long de ce travail, le sujet de la maltraitance familiale et surtout du « tabou de l’inceste » tant au sein de la famille mais aussi auprès des professionnels de la santé. La maltraitance est une réalité d’abord existentielle et relationnelle, et non une forme spécifique de pathologie psychiatrique. Il s’agit ici bel et bien de détresse humaine. L’inceste, le silence et la mort sont parties liées. Silence de l’enfant traumatisé et contraint. Silence de l’agresseur en décalage de la parole structurante. Silence du tiers horrifié ou complice. Silence sur ce que personne ne veut entendre. Ce mutisme séculaire autour de la transgression d’un tabou fondateur des sociétés montre des brèches ici et là dans le monde entier. Si l’image sacrée du Père, du roi ou du patriarche résiste davantage à la révélation de l’innommable, on assiste actuellement, en Europe, à la mise au jour de ce menaçant secret dans les écrits, dans les pratiques socio judiciaires et même dans la loi. L’inceste est un sujet grave et délicat, qui continue d’être occulté malgré les évolutions. C’est une réalité. Le phénomène demeure tabou. Pour quelles raisons ? Parce que toutes les victimes n’ont pas la possibilité de parler ou n’osent pas franchir le pas par crainte de représailles, y compris la peur de perdre sa famille, par crainte de ne pas être entendu par le tiers (thérapeute, travailleur social, éducateur, médecin de famille,...). Par conséquent, ne nous leurrons pas, l’inceste reste déconcertant, dérangeant, étrange. Il dérange car il touche la société, pas uniquement les classes moyennes ou pauvres mais aussi les classes sociales élevées, où vraisemblablement les cas d’incestes semblent moins évoqués. Il est à noter qu’au sein de la famille persistent des lois. Entre autres, celle du pacte du silence qui enferme la victime d’inceste dans une omerta familiale, un lourd secret. L’inceste est une forme de « ‘cancer psychologique’, qui nécessite un traitement qui est parfois douloureux ». Ceux qui ne parlent jamais, se terrant et vivant avec ce secret, vivent perpétuellement dans une demi-mort, dans un simulacre de vie. L’inceste n’est pas un acte mineur. Tout abus sur un enfant est un traumatisme pour l’adulte à venir, dans sa construction psychique, psychologique et parfois physique, car le corps et la psyché n’oublient jamais, même si souvent il existe des clivages et un déni de la réalité. Ce travail sur l’inceste m’a amené à m’interroger sur notre comportement en qualité de thérapeute face à nos patients. De ce questionnement est née mon envie de poser la question sur l’inceste et la thérapie afin d’apporter des éclairages précieux sur la difficulté pour une personne victime à franchir le cap, ainsi que sur le comportement et la réponse du thérapeute face à sa ou son patient(e) évoquant à mots couverts son mal être Ceci afin d’éviter de reproduire une situation similaire à l’abus vécu. Pour synthétiser, ce projet de travail reprend différents points concernant la problématique de l’inceste. Le fait que l’inceste ne soit pas repris dans le code pénal peut amener la famille à considérer cela comme un tabou.Je vous invite, en premier lieu à comprendre quelques définitions pour nous éclairer sur le sens de ce mot. Ensuite à comprendre quand et comment commence l’inceste et quelles en sont les conséquences sur le court ou le long terme. Je développerai ensuite le lien entre le mythe et l’inceste qui sera suivi d’un cas clinique.
Puis, je m’attacherai à analyser comment le thérapeute peut entendre le patient sans lui faire de mal ? En évitant de lui faire revivre dans le travail thérapeutique une situation qui pourrait ressembler à une situation d’abus et ce, involontairement (voir les pièges sous-jacents). Comment ne pas brutaliser le patient en l’aidant à mieux se comprendre ?
Comment le thérapeute peut-il gérer sa caisse de résonance émotionnelle face à l’inentendable ?

1. L’inceste

a). Définitions.

Pour commencer et avant d’aller plus loin dans ma réflexion, ce point est dédié à la définition de l’inceste et de ses variantes. Selon P.C. Racamier, psychanalyste français : ‘’L’inceste porte atteinte aux deux fonctions essentielles de la vie’’. Pour lui, il est un « tueur de pensée » et un « sidérateur de plaisir », ce qui revient à dire, la ‘Mort apparente de l’être’. Ce qui signifie, qu’une personne victime d’inceste ne vit pas, ou plus exactement elle vit une vie dans une petite mort, ou bien une vie en parallèle, comme dans un monde paranormal (préfixe para- : désignant quelque chose qui est à côté de la norme). Il ensuit que la construction de l’individu abusé est difficile. Selon Roland Chemama et Bernard Vandermersch, dans leur ouvrage « dictionnaire de la psychanalyse », pages 268 et 269 aux éditions Larousse : « Inceste » : (incestus = impur), désigne une relation sexuelle prohibée, du fait qu’elle a lieu entre des personnes apparentées consanguines, à un degré plus ou moins proche, un père et sa fille, inceste le plus souvent connu et dénoncé. A cela s’ajoutent aussi toutes les relations des oncles, tantes, grands-parents, etc. et l’inceste frères-sœurs qui, selon toute vraisemblance, fait moins de dégâts que tout autre abus, sauf, peut-être quand existe une trop grande différence d’âge entre les deux. Ce traumatisme est lourd de conséquences. L’inceste refuse la distinction et engloutit l’autre en soi ». Selon Yves-Hiram L. Haesevoets, psychologue clinicien, psychothérapeute, chercheur, expert et spécialiste reconnu dans le domaine de la maltraitance des enfants, « ‘L’inceste est une affaire de silence et de secret’. Dès lors, un des obstacles relatif à l’inceste concerne le langage, la communication. Telle une anguille sous la roche, l’inceste n’aime pas les discours et se laisse peu saisir. L’inceste est néanmoins une œuvre de l’humanité. Aussi, il n’existe point d’humanité sans inceste, comme si elle était née de lui et lui d’elle.  Autour de l’inceste, les définitions sont fort nombreuses et ne se réfèrent pas toutes au même contexte : certains le définissent d’après les liens du mariage, d’autres d’après ceux de la parenté, d’autres encore selon les liens du sang... ce qui ne simplifie pas le travail pour déterminer s’il y a inceste ou pas ».

Françoise Héritier distingue trois types d’inceste :

-  Inceste direct du premier type : rapport sexuel directe entre consanguins, exemple le plus connu Jocaste et Œdipe ;

-  Inceste indirect du deuxième type : non consanguin, lien par le mariage ou aujourd’hui avec le pacs à l’instar de Phèdre et Hippolyte (belle-mère, beau-fils) ;

-  Inceste du troisième type : l’enfant adoptif d’un des deux partenaires.

b) Quand et comment commence l’inceste ?

Il est difficile de dire quand commence l’inceste. Pour poursuivre dans la définition de l’inceste, je vais me servir du travail effectué par Racamier qui s’est intéressé à l’inceste et a eu recours à de nombreux néologismes. « L’incestuel », c’est un climat : un climat où souffle le vent de l’inceste, sans qu’il y ait inceste. Il évoque aussi le néologisme suivant : « l’incestualité en parlant du verbe incestualiser, pour désigner l’action consistant à rendre incestuel; l’adjectif incestualisé qualifiera ce qui est rendu incestuel et incestualisant ce qui rend incestuel. Moins académique mais plus fort est le verbe incester, qui doit sa tonalité péjorative à sa proximité avec infester, d’où vient le participe incesté : parasite par l’inceste. Le mot incestueur, donne « inces/tueur ». Par conséquent, on peut déduire que l’inceste est un « crime » exercé sur un enfant par une personne soi-disant adulte, qui tue l’enfant et abîme, par conséquent l’adulte en devenir. L’incestuel viendrait de la mère et l’incestueux du père. Tout inceste quel qu’il soit fait alliance avec le déni à travers une forme ou une technique de non-dit ». L’incestuel est une jungle dans laquelle l’enfant sent le danger permanent de l’inceste, monstre informe et difforme, effrayant, sans qu’il ne soit vraiment là, mais toujours prêt à bondir. La mère serait l’instigatrice, l’inspiratrice ou la détentrice de l’incestuel, un acte, qui est tout autant ravageant et déstructurant. Serait-ce un doux poison se nourrissant au sein de la matrice ? Pourrions-nous oser dire que l’incestuel serait une forme d’inceste symbolique sans passage à l’acte direct, physique, en un mot non-consommé ? L’incestuel serait-il une sorte de séduction traumatique qui, parfois, existe avant le passage à l’acte ? Dans tous les cas, il s’agit d’une forme bien plus perverse et perfide que l’inceste en lui-même, se caractérisant par des petites phrases assassines, qui restent gravées dans l’inconscient. Quelques exemples suivants permettent d’étayer les propos comme celui de certaines « bonnes mères » ou « bon parents », qui usent de leur supériorité en s’adressant à leurs enfants de la sorte : « tu t’habilles comme une pute » ; « comme tu es beau/belle mon/ma fils/fille ! », « Je serais fière d’être ta petite amie,... » ou par le contrôle de la vie personnelle par la lecture du courrier ou du journal intime... ou encore en pénétrant dans la chambre de l’enfant ou dans la salle-de-bain sans frapper ...L’inceste apporte à l’enfant une confusion générationnelle. Sandor Ferenczi, a écrit certains passages qui illustrent à la perfection la difficulté pour l’enfant de se construire après avoir subi des actes d’inceste :

« Les séductions incestueuses se produisent habituellement ainsi : un adulte et un enfant s’aiment, l’enfant a des fantasmes ludiques, comme de jouer un rôle maternel à l’égard de l’adulte...ce jeu peut prendre une forme érotique, mais il reste pourtant toujours au niveau de la tendresse. »

Pour clôturer ces points de définition, en résumé, l’on pourrait dire que l’inceste est un acte et que l’incestueux est une conduite. L’incestuel serait, selon P.C. Racamier « Ce qui dans la vie psychique individuelle et familiale porte l’empreinte de l’inceste non fantasmé, sans qu’en soit nécessairement accomplies les formes génitales ». Enfin, nous pourrions ajouter à la définition de l’inceste qu’il est des actes destructeurs, dévastateurs qui remplacent les mots et qui, fatalement, induisent des maux. Des maux qui mèneront à cette ineffable souffrance.

c) Les conséquences de l’inceste sur le court et long terme.

Le traumatisme incestueux ne concerne pas uniquement que le corps physique. Il affecte également la construction du sujet et de ses structures mentales. Comme le dit le titre du livre d’Alice Miller, ‘Notre corps ne ment jamais’, « les sévices sexuels qui parfois peuvent s’accompagner d’autres sévices, restent inscrits aussi bien dans le corps que dans l’inconscient, car une partie de soi clive la souffrance des actes, voire la répétition dans les actes, que cet acte puisse avoir eu lieu une fois ou de nombreuses fois. Il reste des séquelles enfouies partout dans le corps, la psyché, voir même à l’extérieur de soi. A l’âge adulte, les séquelles sont là pour rappeler ou répéter en quelque sorte l’enfer que la personne a pu connaître enfant. »

2. L’ŒDIPE : Mythe

Avant d’aller plus loin dans la réflexion, je vous invite à revisiter le mythe d’Œdipe et d’en comprendre les fonctions symboliques avant de faire un lien avec l’inceste.

Qu’est-ce que le complexe d’Oedipe (pour le garçon) / d’Electe (chez la fille)?

La légende d’Œdipe remonte au VIIIè siècle avant Jésus-Christ. Son adaptation dramatique par Sophocle intervient aux alentours de 430 avant JC. C’est une des tragédies antiques célèbres la plus admirée. Dans l’histoire d’Œdipe, ce n’est pas Œdipe qui est responsable de l’acte. Cet enfant ne se doutait pas qu’il tuait son père et qu’il faisait l’amour à sa mère. Il est, en fait, victime d’un infanticide.

Remontons le cours de l’histoire : Laïos, roi de Thèbes, est marié à Jocaste. Ils ont un enfant. Les oracles annoncent que cet enfant, quand il aura grandi, tuera son père et épousera sa mère. Evidemment Laïos n’est pas d’accord et prend la décision de tuer l’enfant. Il confie cela à un guerrier qui, au lieu de le tuer, va le perdre dans la forêt. L’enfant est recueilli par un couple de bergers qui le confie à Polype, le roi de Corinthe. Il reçoit alors le nom d’Œdipe. A la puberté, il va à la ville de Thèbes, ignorant tout de son identité et de ses origines. A Thèbes le peuple cherche un homme. (...) « Si je tue le Sphinx, je serai cet homme. La reine Jocaste est veuve, je l’épouserai » (dit Œdipe). Sûr de lui, il ira même jusqu’à affirmer avec certitude : « Je serai roi ! ». Œdipe fait donc preuve d’une arrogance extrême. Un comportement qui met en évidence la carence affective de cet enfant lui ne désire qu’une chose : exister, être désiré et aimé (on retrouve les besoins fondamentaux du stade oral). Orphelin, il n’aura de cesse de chercher a place qui lui a été enlevé jeune. Ainsi, se rendant à Thèbes, il rencontre le vieillard, le roi de Thèbes (son père). Ce dernier, furieux qu’Œdipe ne lui ait pas cédé le passage, va donc le provoquer. Ils combattent et Œdipe le tue. A l’entrée de la ville, il rencontre le sphinx femelle qui terrorise les habitants de la ville en leur posant des énigmes auxquelles ils doivent répondre pour avoir la vie sauve. Jusque-là, personne n’a pu répondre à ces énigmes. Le sphinx pose la devinette suivante à Œdipe :« Quel est l’animal qui marche à 4 pattes le matin, à 2 pattes à midi et à 3 pattes le soir ? ». Oedipe trouve une réponse. Il pense à lui (son narcissisme) ‘Moi ! et dit « L’homme » qui est à quatre pattes quand il est petit, sur deux pattes quand il est grand et sur trois pattes quand il a une canne le soir. La deuxième énigme du sphinx est : « Quelles sont les deux sœurs qui s’engendrent mutuellement ? ». Œdipe trouve encore la réponse : « La nuit et le jour ». Le sphinx meurt. La ville lui propose de monter au trône, puisque la place est libre. Il épouse Jocaste qui, d’après certains écrits, a deviné qu’Œdipe était son fils. Ils auront des enfants qui vivront ainsi pendant une quinzaine d’année. Affectivement, sa relation avec Jocaste se stabilise. Elle lui permet d’entretenir l’ambiguïté entre la femme fantasmée et la mère tant espérée. Dans son couple, Oedipe trouve donc la sécurité, la chaleur et l’amour maternel dont il a tant manqué jeune. Jocaste, quant à elle, cherche un homme fort, capable de la protéger. Finalement, une personne semblable à son défunt mari, Laïos. Oedipe incarne à merveille ce prestigieux et digne successeur puisqu’il s’est imposé à Thèbes en héros sauvant la cité du Sphinx. Mais face à son épouse, Œdipe se comporte de façon ambivalente, en s’imposant tantôt en enfant tyran, tantôt en roi incontesté et déterminé. Puis, la peste ravage la ville. La Fatalité divine se met en route comme une machine infernale. Les habitants de la ville questionnent de nouveau l’oracle. Celui-ci répond que la peste est la punition des Dieux vis-à-vis d’un parricide et d’une mère coupable d’avoir convolée avec son propre fils, mettant donc en accusation Jocaste et Laïos. Ainsi Œdipe découvre que le vieillard qu’il a tué à la croisée des chemins avant de libérer la ville du Sphinx n’était autre que son véritable père, Laïos, alors roi de Thèbes. En épousant Jocaste, il a donc épousé sa propre mère, se rendant ainsi coupable ‘ de grand forfait’ (on ne peut traduire le mot inceste, en grec). Tous étaient maudits. Jocaste se donne la mort par pendaison. Debout, près d’elle, Œdipe se crève les yeux de désespoir. Antigone, la fille d’Œdipe l’accompagne hors de la ville qui l’a chassé. Ils partent tous les deux trouver asile à Athènes. Le contexte incestuel continue donc. Son orgueil et sa course au pouvoir dans la toute- puissance ont conduit Œdipe à sa propre perte devenant ainsi une victime, un bouc émissaire mythologique. Pour en revenir au regard de Freud (au niveau analytique), le mythe d’Œdipe semble « corrompu ». En effet, l’analyse de cette légende se contente de mettre en exergue l’inceste en rendant Œdipe coupable sur un mode projectif propre à l’interprétation judéo-chrétienne de la culpabilité. Elle occulte totalement le parricide qui précède. Le mythe d’Œdipe (ou Electe pour la fille) et de Jocaste, tout comme certains contes de fées met en avant la problématique des parents responsables du devenir des enfants.

La fonction de l’Œdipe est donc structurante pour l’enfant :

L’Oedipe correspond à une période pendant la quelle l’enfant éprouve des désirs amoureux et/ou parfois agressifs à l’égard de ses parents. Ces désirs que l’enfant ressent envers un de ses parents sont tout à fait normaux. On ne peut envisager de les interdire ou les réprimer. C’est aussi tout à fait normal que ces désirs Œdipiens de l’enfant puissent s’exprimer et se mettre en acte. Ce qui est important, pour l’enfant, c’est la réponse correcte et adéquate que vont apporter les parents. Le complexe d’Œdipe n’est pas une histoire de désirs sexuels. C’est également l’acceptation de la différence des générations et la différence des sexes qui devient centrale dans la vie même si la question se pose dès la naissance et la manière dont l’enfant va découvrir son identité à partir de ce que sont concrètement les parents qu’il a, ceux avec qui il vit. Que la mère ou le père soit géniteur ou non, c’est la personne qui vit avec l’enfant qui est en position d’être à un moment donné ce parent-là pour lui.

L’Œdipe est normal. L’inceste est tout le contraire.

Les situations d’inceste réel ou symbolique (quand il y a un environnement incestuel) se produisent généralement quand la sexualité entre les parents n’est pas harmonieuse. Que ces derniers n’ont pas la maturité nécessaire pour trouver une solution devant une situation ambigüe à laquelle ils sont confrontés, devant certains comportements et sentiments qu’éprouve l’enfant envers ses parents. Il est donc crucial que la relation de couple soit épanouissante car, lorsqu’un des deux parents (et c’est souvent le cas) utilise l’enfant pour compenser ses manques, il reste accroché à l‘enfant. Si un homme est frustré par sa femme, s’il est en manque, où son énergie sexuelle passe-t-elle ? Quand un couple vit en harmonie, rapidement, les deux parents feront comprendre à l’enfant que SA vie est à l’extérieur. L’inceste peut aller jusqu’au viol (pénétration d’un objet quelconque dans l’intime de l’enfant que ce soit un doigt ou un sexe dans le vagin, l’anus ou dans la bouche). Les attouchements, les caresses intimes sont déjà un inceste puisque ces gestes vont au-delà du respect du corps de l’enfant. L’inceste symbolique fait référence aux « territoires privés » de l’enfant, lorsque le parent s’introduit de façon inopportune dans la chambre de l’enfant, en lisant son journal intime ou en violant sa correspondance

Exemple clinique : Une grand-mère s’interroge sur le comportement de sa petite fille de cinq ans qui, depuis un petit temps, se frotte la vulve sur la table du salon. Ses parents sont embarrassés et n’osent intervenir. La grand- mère ne sait pas comment les aider, quels conseils donner aux parents, d’autant que sa belle-fille dit que ça passera avec l’âge.

Que répondre aux désirs plus ou moins sexualisés de l’enfant ?
Si l’on se trouve dans un milieu où les choses ne sont pas dites soit :

-  parce que les parents sont embarrassés. Ils font semblant de ne pas voir et l’enfant prend conscience que ses désirs et son acte sexuel font effet sur ses parents. Il continue à réaliser son acte.

-  Si les parents l’interdisent de façon plus ou moins violente : l’enfant comprend que son acte a de l’effet sur ses parents puisqu’ils se sont mis en colère.

-  Si le parent répond à la séduction sur un mode inadapté, par exemple si le père dit « tu veux que je t’aide pendant que tu y es ? ». Il va créer un lapsus. Le père répond par son désir à lui. L’enfant, face à ce type de réponse comprend et s’arrête. Non à cause de l’interdit sous jacent, mais bien parce qu’il comprend que le danger vient de la mauvaise gestion du désir du parent.

Par contre, si l’on est dans un milieu où le désir a le droit d’exister, alors, l’enfant pourra être rassuré. Lorsque l’enfant montre du désir pour l’un de ses parents (dans le cas ci-dessus, le comportement de masturbation de la fillette contre la table du salon devant ses parents), si le père est capable de le voir et de le nommer, il pourra donc remettre les choses à leur place. Ce qui est extrêmement rassurant pour l’enfant. Dans un milieu où « les choses sont dites, le père peut dire à sa fille de cinq ans : « Tu as le droit de te masturber, mais si tu en as envie, tu le fais dans ta chambre ou dans un lit qui puisse assurer ton intimité, en tout cas, je n’ai pas à voir cela »...Soutenu par la maman, l’enfant se sentira en sécurité avec ses désirs. Dans ce cas-ci, l’Œdipe de l’enfant est recadré de manière adéquate.

3. Les agressions sexuelles et l’inceste.

a) Les agressions sexuelles.

L’Organisation Mondiale de la Santé présente la définition suivante pour l’abus sexuel : « L’exploitation sexuelle d’un enfant implique que celui-ci est victime d’un adulte ou d’une personne sensiblement plus âgée que lui aux fins de la satisfaction sexuelle de celle-ci. Le délit peut prendre différentes formes : appels téléphoniques obscènes, outrages à la pudeur et voyeurisme, images pornographiques, rapports ou tentatives de rapports sexuels, viol, inceste ou prostitution ».(Frédérique Gruyer, Martine Nisse, Dr Pierre Sabourin – La violence impensable, inceste et maltraitance – Editions Nathan – 1991; page 14).

L’ABC de la victimologie offre, quant-à elle une définition intéressante : « Une agression sexuelle consiste en toute activité sexuelle à laquelle une victime est incitée ou contrainte de participer par un agresseur sur lui-même, sur elle-même ou sur une tierce personne ; contre son gré, ou par manipulation affective, physique, matérielle ou abus d’autorité, de manière évidente ou non ; que l’abuseur soit connu ou non, qu’il y ait ou non évidence de lésions ou de traumatisme physique ou émotionnel et quel que soit le sexe des personnes impliquées. Le fait que l’enfant paraisse ‘consentant » ne modifie absolument pas le fait qu’il s’agit d’une agression sexuelle. » (Madoun Sophie et Lopez Gérard – ABC de la victimologie – Editions Grancher – 2007; p 90).

b) Une maltraitance insensée : L’inceste.

De toutes les maltraitances, l’inceste est l’abus sexuel le plus cruel, le plus ignoble et le plus pervers car il est la trahison suprême pour un enfant victime. C’est, pour lui, un cataclysme destructeur et ravageur. Dans ce travail, je vais plus m’intéresser à ce phénomène bien que la maltraitance et l’abus sexuel soient également destructeurs. Il est difficile, sinon impossible de parler d’inceste parce qu’il n’y a pas un inceste, mais des incestes dont je vais, grâce à mes recherches dans différentes lectures, citer les principaux types :

-  L’inceste Œdipien (cf. approche ci-dessus) : Le fils avec la mère. C’est le crime absolu, l’interdit universel. C’est le mythe d’Œdipe (ou d’Electre – la fille avec le père).

-  L’inceste maternel : la mère avec le fils : Plus fréquent que l’inceste Œdipien. Il est mésestimé, dénié car il touche au tabou de l’amour maternel. Pourtant, des mères, dans la recherche d’une relation fusionnelle avec leur fils, utilisent le corps de leur petit garçon de façon intrusive.

-  L’inceste homosexué : la mère et la fille. C’est la forme la plus radicale et pure d’inceste parce qu’homosexuée, la fusion parfaite entre deux identités féminines excluant totalement le père.

-  L’inceste séducteur : Le père et la fille. Resté longtemps tabou, il est aujourd’hui farouchement dénoncé et occupe la une de l’actualité. Il occasionne aussi l’incrédulité et la suspicion envers les « prétendues » victimes. Le père est amoureux de sa fille. Il envahit peu à peu, en douceur, en secret le corps abusé de son enfant. Il y a « confusion des générations » pour ces pères persuadés d’être dans un amour vrai et partagé. Ce qui inclut, de la part de ce dernier, jalousie et possessivité.

-  L’inceste avec violence, le viol incestueux : Le père avec l’enfant quel que soit le sexe de celui-ci. L’agression libère la destructivité issue de la haine et le manque d’objet primaire maternel ambivalent. C’est une pure pulsion sadique de destruction où tous les degrés de sadismes sont possibles.

-  L’inceste père-fils ou la double transgression : Ce sont des cas plutôt rares mais qui existent, malheureusement. C‘est la transgression de l’interdit de l’inceste doublé de l’intrusion dans l’orientation sexuelle du fils. Il s’agit souvent d’une homosexualité refoulée du père, qui s’exprime lorsque les pulsions homosexuelles submergent les défenses.

-  L’inceste indifférencié sur plusieurs enfants : Souvent le fait d’un père, chef « tout puissant » de la famille, s’accordant tous les droits sur chacun des membres de sa famille dans un climat de violence et de terreur.

-  L’inceste dans la fratrie : Il résulte principalement d’un climat incestueux de la famille. Il est plus présent dans les familles éclatées. La différence d’âge ainsi que l’âge de la victime détermine l’ampleur du traumatisme.

-  Les grands-pères incestueux : un grand nombre de ces grands-pères ont été d’abord des pères incestueux. Ils renouvellent l’inceste sur leurs petits-enfants. Le passage à l’acte avec leurs petits enfants se fait sur un mode séducteur identique à celui fait avec leurs enfants.

-  L’inceste de deuxième type : c’est-à-dire l’inceste de deux consanguins : coucher avec la mère et la fille, ou avec les deux sœurs.

-  Les autres incestes : L’oncle, la tante, le cousin, la cousine, etc...

-  Ce qui peut aussi être considéré comme inceste, l’atmosphère incestueuse d’une famille où il n’y a pas d’actes incestueux à proprement parlé, mais où l’enfant ressent, comme une menace permanente, la force du désir incestueux d’un ou plusieurs membres de sa famille (par exemple, être observé lors des moments intimes :, toilette, déshabillage, sommeil etc...)Il existe également l’inceste platonique du premier et du deuxième degré (selon Françoise Heritier). Je ne vais pas m’étendre sur tous les aspects de typologie de l’inceste mais j’en ai retenu un particulier très intéressant dont on ne parle guère. « L’inceste du deuxième type où par exemple, une mère et sa fille auraient des relations sexuelles avec le même homme, introduit dans une intimité charnelle en même temps qu’une rivalité sexuelle à l’intérieur de la famille. Il n’exclut pas une personne mais une place soit :

-  Si la fille couche avec l’amant de sa mère, elle n’est plus en tiers mais en symétrie des places ;

-  Si la mère couche avec le fiancé de sa fille, elle n’est plus en tiers mais fait partie prenante d’une relation dont elle devrait s’exclure pour ne pas être en rivalité avec sa fille.
Dans tous les cas, l’inceste par exclusion du tiers fabrique du binaire à partir du ternaire ; ce type d’inceste ne fait pas l’objet d’une prohibition universelle mais sa transgression provoque pour le moins un malaise. » (Klopfert Dominique, Inceste maternel, inceste meurtrier, éditions l’Harmattan, p. 25
)

c) Les conséquences de ce traumatisme.

Je ne pourrai avancer dans ce travail sans m’étendre sur les conséquences issues de ce traumatisme qu’est l’inceste. En quoi est-il si destructeur ?

L’inceste s’attaque, en premier, au lien de parenté. Il entraîne toujours une atteinte à l’identité en devenir de l’enfant incesté. Lorsqu’il y a inceste avec viol, la brutalité entraîne une telle sidération chez l’enfant, qu’elle compromet son développement ultérieur. Seule la haine de l’enfant contre son agresseur peut parfois provoquer en lui des réactions de survie, l’empêchant de sombrer psychiquement. Dans tous les cas d’inceste, il y a atteinte à l’intégrité physique et psychique de l’enfant. En général, il y a effondrement psychique. Le lien de filiation rattache l’enfant à sa famille, à sa généalogie et l’inceste rompt ce lien apportant la confusion des générations et des sexes. La confiance en l’adulte est détruite et l’identité n’a plus d’assise pour se construire. L’identité sexuelle peut aussi être perturbée ou pervertie (par exemple, dans les cas d’incestes père et fils). Plus le traumatisme est précoce, plus il sera dévastateur. En effet, plus tôt le traumatisme aura lieu, moins l’enfant pourra l’habiller d’une représentation acceptable. Il sera donc moins compréhensible, moins pensable. Cela relève donc d’une folie, d’une effraction telle que toute mentalisation se révèle impossible. L’inceste provoque la confusion, la sidération, la culpabilité, un trouble de l’identité, une souillure qui altère l’estime de soi. L’identification à l’agresseur est fréquente : plus d’un tiers des abuseurs ont été victimes, eux- mêmes, d’agressions sexuelles dans l’enfance. De plus, la victime, isolée, sans repères externes, va intérioriser le discours de l’agresseur comme une vérité et enregistrer des distorsions cognitives telles : « c’est normal » ; « C‘est un rite de passage obligatoire » ; « tous les pères agissent comme cela »...( Raimbault Ginette, Ayon Patrick, Massardier Luc – question d’inceste – Editions Odile Jacob – 2005 ; p.56). L’abuseur va chercher systématiquement à obtenir le secret de l’incesté et va utiliser, pour y parvenir, tous les arguments en sa possession : distorsions, chantage émotionnel, menace. L’incesté, discerne très vite, par le comportement de l’agresseur, qu’il doit garder le silence. Il perçoit de façon intense l’interdit et la honte. Dans un premier temps, l’enfant incesté va perdre toute ‘estime de soi’. Il va ressentir une honte intense (il va être profondément convaincu que ce qui arrive est totalement de sa faute). Il intériorise la faute qu’il associe à la honte et nourrit des sentiments de dégoût de soi. Il se sent sale, dégoûtant, avili, vicieux et aussi responsable de sa situation. L’image de soi est donc fortement dévalorisée et subit une distorsion d’importance .L’enfant incesté risque de devenir extrêmement   dépendant de l’adulte. Il sera agressif, irritable, avec des signes dépressifs importants et des passages à l’acte, des conduites régressives. On notera le repli, la solitude, des cauchemars, la mise en place de phobies, des somatisations principalement abdominales et digestives et l’hypervigilance. La plupart des enfants incestés, devenant le lieu électif de projection de sentiments de honte, de culpabilité du parent abuseur, sont maltraités par celui-ci car considérés comme le mauvais objet à qui l’on peut tout faire subir. Paradoxalement, on peut considérer l’enfant victime d’inceste, comme « le membre le plus sain » de la famille, en ce sens, que porteur du symptôme (culpabilité, dépression, dépendance, autodestruction), c’est lui qui est sacrifié pour dissimuler la folie du système familial. Il est le détenteur, l’héritier du secret familial. Une fois devenu adulte, la décompensation dépressive sera le symptôme le plus prégnant. Les victimes d’inceste connaissent tous la dépression et les phases dépressives. On retrouvera chez les personnes incestés l’ensemble des symptômes de la maltraitance physique accompagnés toujours d’anxiété et de phobie. Les troubles de l’identité sont également très présents ainsi que la confusion la plus complète, confusion de sexe, place générationnelle. La vie semble un magma où tout est confus, indistinct, nébuleux. On pourrait dire que : « l’incesté est un vaisseau sans gouvernail, sans rame et sans boussole qui surnage sur un océan inconnu et ombrageux ». Nombre d’enfants incestés refoulent le traumatisme et l’enfouissent au plus profond pour survivre, mais ces souvenirs resurgissent violemment, de façon imprévisible à l’âge adulte et génèrent de graves crises émotionnelles, sur une base dépressive. Les frontières entre soi et l’autre étant mal délimitées, toutes les intrusions postérieures seront possibles. Ainsi, les personnes abusées sexuellement dans l’enfance sont-elles susceptiblement prédisposées à être sexuellement agressées et victimes de viols à l’âge adulte (compulsion de répétition). Les victimes d’incestes peuvent développer également des conduites antisociales, de l’agressivité et des comportements criminels ou aboutir au suicide parce que c’est, pour certains, l’aboutissement de la souffrance des personnes ayant subi des abus sexuels.

d) Le dévoilement.

Le dévoilement est, d’une part, un soulagement pour l’enfant incesté, accompagné par l’espoir d’en terminer avec l’emprise de son abuseur. C’est aussi, bien malheureusement, le début d’un lourd enchaînement d’épreuves. Soit le conjoint de l’abuseur va accepter et compatir avec la souffrance de l’enfant en reconnaissant les faits et ce qu’il a subit, soit il va nier et rester complice implicite de l’abuseur. Si le conjoint rejette l’allégation de l’enfant, il sera alors très difficile pour l’enfant de trouver une autre personne à qui se confier. L’enfant incesté va devoir affronter l’explosion de sa famille qu’il s’attribuera comme responsable, à l’opprobre de l’environnement (famille, amis, société). Le parent abuseur sera poursuivi, emprisonné avec les conséquences qui suivront pour l’enfant. Un traumatisme supplémentaire auquel il sera confronté. Il en résulte alors une grande culpabilité qui se surajoute à la forte culpabilité de l’inceste.

e) La résilience.

Je trouve important d’introduire, dans mon travail, ce point qu’est « la résilience ». En effet, tous les enfants victimes d’inceste ne terminent pas leur vie de façon aussi dramatique comme je l’ai mentionné ci-dessus. Ils ne deviennent pas tous des abuseurs à leur tour, ni des criminels, ni des suicidaires.... Certains enfants ont cette faculté créatrice de se créer un monde imaginaire ou de se trouver des personnes, dans leur entourage ou à l’extérieur de leur environnement incestueux, pour se construire. On les appelle donc des enfants « résilients ». Qu’est-ce donc la résilience ? C’est la capacité d’un individu à se construire malgré des situations douloureuses et traumatiques. Les enfants maltraités qui deviendront résilients, mettent en place des stratégies d’adaptation. Ces stratégies vont leur permettre de « tenir le coup » mais aussi de se construire, malgré, et en dépit, de la maltraitance reçue. Monsieur Yves-H L. Haesevoets appelle cela des « syndromes d’adaptation ». Par ailleurs, il est à souligner que l’adaptation engendre des souffrances. La résilience n’est pas toujours observable car la souffrance est en filigramme refoulée et donc les stratégies d’adaptations périclitent. Mais quand ces moyens, ces stratégies sont observables, les personnes résilientes peuvent mettre en place :

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-  Une activité imaginaire débordante : pour échapper à la réalité douloureuse, l’enfant sa se créer des mondes imaginaires, où il va se projeter et aussi projeter ses parents afin de les transformer en ces bons parents bienveillants dont il a tant besoin. (ex. l’enfant se raconte des histoires avant l’endormissement du soir où il est un enfant héros contre les monstres).

-  Le soutien extérieur qu’ils vont aller chercher : lorsque le milieu est toxique pour l’enfant, il peut soit se replier et s’isoler dans la carence ou bien décider de rechercher à l’extérieur un autre mode de fonctionnement, un autre entourage, un autre modèle possible. Il va donc rechercher des ressources auprès de ses copains, des enseignants ou de personnes de la famille élargie (oncles, tantes, ...) C’est souvent le fruit d’une rencontre...L’enfant saisit alors sa chance. Cela peut lui apporter un appui inattendu.

-  L’art : la peinture, l’écriture, la musique, la sculpture, le cinéma ou tout autre forme d’art, va permettre à l’enfant abusé (ou incesté) de transformer ce qui est laid en beau, en lumineux, de métamorphoser toute sa souffrance en une œuvre et d’utiliser sa créativité pour évacuer tout le mal reçu en le projetant sur sa création.

-  L’humour : souvent un moyen utilisé par l’enfant pour mettre à distance la souffrance tout en conservant une lucidité froide sur ce qui se passe. L’humour est aussi pour lui une façon de chercher à se faire aimer, de montrer qu’il existe, de faire rire l’autre, amener son acceptation même si elle est fugace. L’humour lui permet d’apporter une légèreté à l’horreur. Plus tard, cela lui permet de parler de sa souffrance sans s’effondrer.

-  La Foi : Ce peut être une ressource forte pour les enfants maltraités. Elle peut leur permettre de combler un grand vide, celui de l’amour. La foi est une forme de résilience de grande puissance, car là où il n’y avait que vide, que mort, l’amour peut prendre sa place et ramener à la vie. 

« Les enfants qui réussissent leur résilience présentent des caractéristiques communes.... QI élevé, efficacité relationnelle, empathie relationnelle, capacité d’autonomie, capacité organisationnelle, sens de l’humour développé » (Brissiaud Pierre-Yves – Surmonter ses blessures, de la maltraitance à la résilience – Editions Retz – 2001, p.121)

4. Comment le thérapeute peut-il gérer sa « caisse de résonance » émotionnelle face à l’inentendable ?

Tout intervenant (assistant social, psychologue, infirmier ou médecin) ayant en face de lui une situation de maltraitance ne peut rester indifférent émotionnellement. C’est la raison pour laquelle des formations de plus en plus spécifiques sont nécessaires dans l’accompagnement des victimes d’abus ou d’inceste. En effet, comme le souligne Y.-H. Haesevoets, « l’angoisse est inscrite au plus profond de l’expérience humaine. Le sentiment d’angoisse est aussi un moteur de réflexion qui permet à l’intervenant de prendre conscience de son être, du désir et de l’existence. Toutefois, lorsque l’angoisse est induite par un cas de maltraitance, l’intervenant, dans une situation personnelle et émotionnelle particulière, singulière intense et difficile à gérer, peut perturber les processus mentaux de prise de décision, de raisonnement, d’observation et de compréhension. Malgré le niveau de compétence et de maîtrise de l’intervenant, l’angoisse peut se transformer en attitudes ou en réactions viscérales. De manière irrationnelle, des sentiments d’anéantissement ou d’impuissance font irruption et télescopent le système d’intervention » (Regard pluriel sur la maltraitance des enfants, Y Haesevoets, p. 275 – éd. Kluwers). Si l’intervenant dramatise la situation de maltraitance, il risque d’entretenir de nombreux sentiments angoissants et de cette façon, induire, par la précipitation et l’exagération de ce qui vient de lui être confié, des évaluations tronquées, erronées empêchant tout discernement. Si l’intervenant minimise ou craint d’appréhender une situation de maltraitance, il risque de ne pas prendre conscience de la souffrance d’un enfant ou de l’adulte ayant été victime d’abus ou d’inceste. Banaliser ou accepter des actes de maltraitance, correspond parfois à un moyen, pour l’intervenant, de se protéger contre ses propres angoisses. Les erreurs d’évaluation peuvent entretenir ou maintenir une situation en danger. Tout intervenant est en droit de douter. Même confronté à des traces de coups, il est encore possible de douter. Alors, qu’en est-il pour les situations où l’inceste est transparent, sans trace physique aux premiers abords ? Les défenses psychologiques de l’intervenant sont d’autant plus renforcées que le système familial est différent ou marginal et perturbe les transactions extérieures. Ces situations sont parfois confuses, chaotiques, dysfonctionnelles à différents niveaux. S’il est rendu vulnérable parce qu’il est inexpérimenté ou ambivalent, l’intervenant va se laisser entraîner par le marasme familial et ses règles particulières, voire souvent aberrantes. Il va alors trouver des justifications pseudo rationnelles ou culturelle à toutes ces confusions. En tentant de faire alliance avec une famille à transactions maltraitantes, l’intervenant peut se retrouver seul à devoir gérer trop d’éléments irrationnels qui finissent par contaminer son propre système de valeur et déstabiliser ses repères institutionnels. Ces distorsions de la réalité sont évitables lorsqu’il peut évoluer au sein d’une équipe pluridisciplinaire stable où s’il s’appuie sur un réseau d’intervention cohérent. Les consultations collectives réunissent les membres de la famille et les membres de l’équipe thérapeutique (qui est, comme souligné ci-dessus, de nature pluridisciplinaire).Dès lors, des médecins (psychiatres, généralistes, pédiatres, ...), des psychologues cliniciens, des thérapeutes, des éducateurs, des assistants sociaux travaillent au coude à coude. C’est ce qu’on appelle, en systémique, la dimension du système impliqué dans la thérapie, dimension qui peut varier au cours de celle-ci. Il est important, en tant que prestataire de soin, de tenir compte de l’environnement d’acteurs professionnels qui peut graviter autour d’une famille lorsque cela s’annonce nécessaire. Dans le milieu psycho social, l’inceste est une situation face à laquelle peu d’intervenants aiment se trouver. Il est, en effet, difficile de rester neutre face à l’inceste. Cet acte éveille spontanément, chez chacun d’entre nous, ce que certains appellent un « contre-transfert négatif », où se mélangent tout à tour colère, indignation, incompréhension. De plus, ces situations sont souvent délicates et les détecter afin d’entreprendre un suivi est souvent un parcours parsemé de pièges. L’inceste, quand il est découvert (ou le plus souvent supposé ou dénoncé –parfois sans preuves mais réel) va être abordé selon deux registres : soit sous le registre policier ; soit sous le registre thérapeutique. Dans la réalité, on constate une confusion totale du côté des thérapeutes et/ou intervenants qui confondent les rôles, souvent sans s’en rendre compte. Ces confusions peuvent être à l’origine de résistances habituellement rencontrées dans les familles incestueuses (le déni, par exemple).

Pour en revenir à la notion citée ci-dessus, de « transfert et contre-transfert émotionnel », voici quelques réflexions pour mieux comprendre ce qui se passe dans la relation thérapeutique entre l’intervenant et le patient :

« Dans toute relation humaine, le transfert se réfère à un processus psychique par lequel des désirs inconscients sont projetés sur une personne donnée dans une situation donnée. Ces désirs sont souvent refoulés et s’actualisent ou se réalisent dans le cadre de la relation thérapeutique. Dans une situation de maltraitance ou d’abus (inceste), l’enfant victime ou l’adulte autrefois victime réalise à travers sa relation avec le thérapeute, les sentiments qu’il ressent à l’égard de ses propres parents. De façon inconsciente, le patient projette ses propres représentations parentales sur la personne avec laquelle il entre en interaction. Le thérapeute (représentant l’adulte parental, par exemple) alors présent devient une image parentale par substitution. Ce qu’on appellera la répétition projective de ce prototype infantile est vécu par le sujet (enfant ou adulte en thérapie) avec un sentiment d’actualité marqué, accompagné d’émotions intenses. La problématique transférentielle est associable au complexe œdipien et à des sentiments d’ordre sexuel rendant encore plus trouble cette relation avec le patient. Le transfert positif correspondra alors à l’ensemble des sentiments tendres et le transfert négatif, à l’ensemble des sentiments hostiles. Dans son contraire, le contre-transfert est un processus psychique de feedback ou de rétroprojection des désirs inconscients d’une personne donnée sur une autre personne. Dans une situation de maltraitance à laquelle est confrontée l’intervenant, l’enfant maltraité représente lui aussi un lieu de projection fantasmatique des désirs, sentiments et émotions de l’adulte. Par ce processus inconscient, l’adulte et l’enfant dans l’adulte s’y trouvent psychiquement entremêlés. En réactualisant les conflits traumatiques qui l’habitent, l’enfant maltraité confronte le thérapeute à ses propres sentiments. Tendres ou hostiles, ces sentiments sont parfois dirigés vers les parents. Avoir pitié de l’enfant ou le trouver désagréable, et être révolté contre ses parents sont des impressions qui peuvent envenimer la situation. Par ce qu’il ressent, l’intervenant est déconcerté. Entre lui et la famille, un climat émotionnel s’installe quasi à son insu. L’intensité et la complexité des émotions ressenties rendent alors difficiles l’approche et l’évaluation objective » (Regard Pluriel sur la maltraitance des enfants, p. 274-275 Haesevoets Yves-H, éditions Kluwers2003).

5. Comment le thérapeute peut-il entendre le patient sans lui faire de mal ? Comment ne pas brutaliser le patient en l’aidant à mieux se comprendre ?

« Pleurer, déverser les larmes n’est pas une honte que l’on soit homme ou femme. Chaque larme versée répare, nettoie nos blessures et cicatrise nos plaies. Elles nous font du bien. Ne les retenons pas.... » - Carine Duray

Je vais tenter, sur base de l’histoire de Françoise, ci-dessous, d’amener à réfléchir sur les difficultés qu’un thérapeute, assistant social, médecin, ... ou autre peut rencontrer quand une personne arrive avec sa souffrance et rencontre des résistances par rapport à l’inentendable (l’inceste) ...

« Françoise est une jeune maman de 34 ans. Mariée, elle est mère de trois enfants. Elle travaille comme employée dans le service public. Lors des vacances de juillet, ses enfants fréquentaient la plaine de jeux organisée par l’entreprise qui l’emploie. Deux officiers de la police judiciaire se présentent sur son lieu de travail et la convoquent, avec sa fille aînée, Zoé (6 ans), au commissariat de police. Elle prévient son mari et, dans l’après-midi, se rend au rendez-vous fixé avec Zoé. Dès son arrivée au poste de police, une dame l’avait séparée de sa fille. Rien ne lui est dit. Elle se retrouve seule, dans un bureau, observant plus d’une heure les va-et-vient des agents. Au bout d’une heure, une dame entre dans le bureau où Françoise attendait sans comprendre ce qui se passait. La dame lui explique que Zoé est une petite fille très sage et qu’elle a fait de beaux dessins. Ensuite, elle annonce à la maman que quelque chose de très grave est arrivé à la plaine que fréquente sa fille. Comme l’homme est aux aveux, et qu’il a avoué les faits, elle dépose les faits (agression sexuelle) d’un homme engagé par l’ALE qui s’est immiscé dans le groupe des éducateurs et enfants. Sa fille est victimes d’abus sexuels. Françoise se sent défaillir mais garde le contrôle d’elle-même car il va falloir interroger l’enfant (film- caméra). Au bout de quelques heures, Françoise et sa fille quittent le commissariat invitées à se rendre chez le médecin pour une visite médicale. Aucun suivi psychologique n’a eu lieu par la suite. L’affaire a été portée en justice et l’agresseur a écopé de trois ans de prison ferme. Quand il y a eu libération conditionnelle, Françoise et son mari en ont été avertis et rien n’a été préparé à leur propos. Françoise avait le sentiment, à chaque rencontre, rarissime, avec le service d’aide aux victimes, que l’agresseur était protégé. Françoise s’enfonça dans une dépression. Des souvenirs de son enfance (qu’elle avait refoulé) venaient la hanter. Françoise avait été abusée par son beau-père. Ses parents s’étaient séparés quand elle avait 18 ans et des secrets de familles avaient en plus été dévoilés à l’époque. Par contre, elle n’avait jamais pu parler des attouchements (et abus) qu’elle subissait de la part de son beau-père (qu’elle croyait, jusqu’à ses 18 ans, être son père puisqu’elle porte son nom). Le climat incestuel entretenu par sa mère, qui « n’avait rien vu » et le fait qu’elle congédia Françoise l’a traitant de menteuse, la bloqua sur ces faits incestueux. L’agression que subit Zoé éveilla tous ces souvenirs chez Françoise. Elle alla consulter et dès qu’elle abordait les notions d’abus sexuels, elle ressentait une réticence de la part du thérapeute. C’est suite à l’affaire de Zoé, que Françoise alla de plus en plus mal.... ».
Le travail thérapeutique avec des personnes ayant subi des abus sexuels dans l’enfance ou l’inceste, constitue un travail de longue haleine qui demande beaucoup de courage et de persévérance. Il n’est pas question pour le patient de se reposer sur un thérapeute, mais d’être accompagné par un thérapeute tout au long d’un parcours douloureux, demandant une grande dépense énergétique, car il s’agit, ici, pour le « survivant », d’affronter sa souffrance, sa douleur et sa rage. Il est, dès lors, nécessaire que tout soignant qu’il soit infirmier, médecin, assistant social, psychologue, thérapeute ou autre professionnel de la santé, de suivre une formation de base dans tout cursus. Certains se spécialiseront, par la suite dans le domaine et suivront donc, un cursus plus approfondi. 
C’est pour cela, par le biais de ce travail, que je vais essayer de trouver des pistes pour réfléchir à des approches de prise en charge de personnes ayant subi de la maltraitance.

a) Repérer les signes de maltraitance :

Quels sont les principaux signes de maltraitance que présente un enfant ?
Les symptômes peuvent être divers. Au niveau physique, on peut remarquer des bleus, des bosses, des plaies tégumentaires, des plaques de cheveux arrachées, des brûlures (cigarettes ou fer à repasser), des fractures multiples de gravité différente, des lésions crâniennes, oculaires, etc...mais les conséquences les plus redoutables sont de l’ordre psychologique. 
Aucun trouble isolé n’est caractéristique de la maltraitance mais le contexte, la répétition des blessures, leur caractère inhabituel, le changement de comportement de l’enfant dans son environnement, les troubles du comportement, le repli, etc... sont autant de signe d’alerte permettant de soupçonner la maltraitance.

b) Carences du système de protection de l’enfant

La parole de l’enfant sous terreur, vivant constamment dans la crainte, dans sa famille est fragile, fugace, très rétractable et doit être « écoutée » avec le plus grand sérieux.

Dans l’exemple de Françoise, ci-dessus, lors de la consultation, Françoise explique qu’adolescente, elle avait tenté de parler à un professeur avec qui elle se sentait en confiance. Quand elle a voulu aborder les difficultés qu’elle rencontrait chez elle, le retour qu’elle eu la replia sur elle-même. L’enseignante n’avait rien entendu et lui répondit qu’elle était en pleine crise d’adolescence et que ça ira mieux plus tard.

L’enfant ou l’adolescent qui témoigne, témoigne de l’horreur, de l’anormalité, d’un vécu traumatique fort, et sa crédibilité ne doit pas être remise en question d’autant que très peu d’allégations d’enfants ou d’adolescents se révèlent fausses. L’enfant qui parle ou l’adolescent qui ose parler (car c’est encore plus difficile à cette période de sa vie), est dans un état psychologique particulier : culpabilité importante, minimisation pathologique de la gravité des sévices subis, soumission extrême à l’autorité de l’adulte, attachement sacrificiel à sa famille. Hyper idéalisation des figures parentales, identification à l’agresseur, provocation sexuelle dans le cas de l’inceste et provocation à la violence dans les cas de maltraitance physique. Aussi, toute personne susceptible de recueillir la parole d’un enfant maltraité devrait-elle être formée à cette écoute. Françoise avait tenté de parler à sa mère qui la traita de menteuse. L’enseignante ne pouvait pas non plus entendre telle chose « innommable » et ne laissa pas Françoise se confier davantage (par peur ?, par quelle résonnance avec l’histoire de l’adulte qui écoute ?)... Il a fallu l’agression de Zoé pour que le refoulé de Françoise remonte à la surface et qu’elle trouve le thérapeute qui puisse entendre son histoire (même si, au niveau de la Justice, il y a prescription). La souffrance est présente tant qu’elle n’est pas soignée. Actuellement, même si les choses semblent bouger, il reste encore une multitude d’intervenants (médicaux, judiciaires, sociaux, psy), et paradoxalement, le peu d’intervenants formés aux cas de maltraitances, l’insuffisance de communication et de transparence entre les différentes instances, génèrent fréquemment des dérapages hyper traumatiques pour l’enfant, l’adolescent et/ou l’adulte (qui n’a pas été entendu). Le pire est lorsque l’enfant est mis en présence de son agresseur. Dès lors, comment initier, apprendre à panser l’impensable ? Pansons-nous vraiment tous les maux ? Peut-on arriver à s’en sortir ? Le rôle du thérapeute ou des intervenants est important, car ils se retrouvent face à une personne en souffrance et cette souffrance remonte à de nombreuses années. La thérapie peut avoir comme fonction d’être une sorte d’appel, ce qui voudrait signifier que la victime veut et peut enfin se délivrer ou livrer sa souffrance à un tiers, une personne extérieure à son entourage. Et, peut-être, dans un fantasme de sauvetage de l’autre, imaginer qu’en rompant le silence, elle pourra empêcher au sein de sa famille et pour les générations futures que l’inceste de soit répété.

Quelques pistes pour aider le thérapeute à entendre le patient (l’enfant, l’adolescent voire même l’adulte) sans lui faire de mal :

-  Traiter avec le patient sa honte, sa culpabilité et sa peur.
La honte c’est la très mauvaise estime de soi. C’est quelque chose d’ineffable, d’indicible. Quand le thérapeute peut travailler avec le patient sur ce ressenti, il a déjà créé un lien très fort et peu avancer dans l’aide à la reconstruction du patient face à son traumatisme. Il peut alors entendre sa souffrance et l’aider à exprimer sa haine et sa rage au cœur. Il peut, enfin, travailler l’angoisse de mort et ainsi permettre au patient de reconstruire une image positive de lui-même.

-  Ensuite, quand cette première partie du travail est réalisé, il est important de prendre en compte le système social dans lequel évolue le patient : amis, relations amoureuses à l’extérieur de la famille. Le thérapeute va pouvoir travailler avec compétences sociales du patient abîmé, l’amener à être capable d’être avec les autres dans son environnement.

-  Aider également le patient à exprimer ses émotions et ressentir ce que parfois, il ne ressent plus.

-  Elucider le sens que donne l’enfant, l’adolescent, au fait d’avoir été abusé. Avec l’adulte, voir, dans son histoire familiale, quel sens il peut donner maintenant.

-  Travailler sur le secret, tout ce qui n’a pas pu se dire. Découvrir la fonction du secret dans l’histoire familiale chez l’adulte et aussi chez l’enfant.

-  Si le patient (enfant, adolescent) a une fratrie, travailler sur la réaction de ses frères et sœurs.

-  Quand toutes ces étapes sont franchies, on peut alors aborder un travail de prévention, qui consisterait essentiellement, à apprendre à la victime à prendre soin d’elle-même. Etre plus fort pour sortir de la répétition.

- Et enfin, travailler sur l’image de l’homme ou de la femme que la victime peut devenir. Travailler sur sa créativité, son imaginaire qu’il peut projeter sur le futur.

Pour le patient, victime (qu’il soit un enfant, un adolescent, ou un adulte), la thérapie est pour lui une sorte d’appel. Appeler et soigner ce qui parle en la victime (qui ne parle plus, ne symbolise plus) permet d’éviter l’oubli, la banalisation et peut ouvrir à un travail de mémoire pour que le trauma devienne un souvenir.
Ce qui peut permettre à la victime d’imaginer son destin comme étant différent de celui de l’agresseur.

 

 

6. Conclusion

Pour conclure, ce qui est insupportable, intolérable, révoltant et inadmissible, c’est l’injustice profonde dont sont victimes les enfants maltraités (abus sexuels, inceste). Ces enfants, qui auront le malheur de souffrir dans leur chair, dans leur âme, dès le plus jeune âge, seront confrontés aux conséquences désastreuses de la maltraitance durant toute leur vie. L’inceste fait partie de ces traumatismes dont les actes resteront irrémédiables, indélébiles pour l’enfant victime de l’inceste. Il est une des expériences humaines des plus horribles et cruelles qu’une personne peut faire subir à une autre personne, en l’occurrence un enfant. L’inceste, c’est la trahison suprême de la confiance la plus élémentaire entre un enfant et un parent. Il est très important, pour toute personne incestée, afin d’en faciliter sa reconstruction, d’être reconnue comme victime et non pas comme la personne coupable d’avoir été incesté et/ou violée par un être proche. Dans les affaires d’inceste faisant l’objet de procédures de justice, souvent les victimes sont « satisfaites » du verdict, parce qu’elles ont l’impression de retrouver une intégrité et surtout d’être reconnues. Ce n’est pas forcément le cas pour toutes les personnes, surtout celles qui, par crainte, peur de représailles, ne vont jamais jusqu’au bout qui restent dans la « non-reconnaissance » et qui persistent dans une souffrance, dans un non-dit et dans le refus d’admettre leur statut de victimes. Il ne faut pas oublier de dire que les victimes d’incestes auraient souhaité pourvoir passer normalement le cap de l’Oedipe, et que le complexe d’Oedipe ne devienne pas une compulsion de répétition source de symptôme, de choix incohérents de partenaires. Ces victimes auraient préféré que l’Oedipe ne reste qu’un simple fantasme ou se mélangent la rivalité, l’identification, l’ambivalence conflictuelle avec le parent de sexe opposé, le dépassement de sublimation et l’angoisse de castration. Evidemment, les personnes victimes d’inceste auraient très probablement préféré vivre ces instants sans avoir à vivre le cauchemar! La violence incestueuse les condamne à mener une lutte avec les traumatismes dévastateurs, destructeurs. Le plus difficile pour ces personnes, abusées dans leur confiance, est sans nul doute de passer le cap qui consisterait à délier les sentiments variés, ceux de la honte, de la souillure et d’une culpabilité en porte-à-faux. Marquées par la trahison d’un ou des parents, la mémoire de l’inceste ne menace pas uniquement l’enfant qui en est victime mais toute la famille. Le déni collectif et le rejet familial deviennent inséparables du traumatisme de l’inceste. L’amour et la solidarité familiale sont pervertis et corrompus par la loi du silence. La victime de l’inceste, isolée par et dans son vécu traumatique impartageable, doit effectuer un chemin odysséen avant de rejoindre la communauté des humains. Etre victime de l’inceste implique le sentiment d’être dépourvu du simple droit d’ »exister ». Durant l’enfance, la victime a en face d’elle, une personne qui, au lieu de la protéger et de lui léguer son amour inconditionnel indispensable, lui supprime à chaque fois qu’il abuse d’elle, l’espoir d’exercer son droit fondamental à « Etre ». En effet, le parent abuseur, s’empare de l’espace psychique de l’enfant. Ce qui semble être capital, c’est la reconnaissance (le contre-transfert) symboliquement judiciaire du « enfin entendu et reconnu ». C’est un principe qui serait capital et vu comme une étape préliminaire dans la reconstruction de la victime après le préjudice et l’injustice subis par la personne. L’Œdipe n’étant rien d’autre qu’un jeu de triangulation, où les acteurs sont : l’enfant, le père et la mère. Par conséquent, l’inceste est un traumatisme qui se joue à trois au sein de la famille, et même si l’autre parent « ne voit pas », son inconscient lui, il sait. Même les enfants résilients, même les victimes qui auront effectué un long, douloureux et courageux travail psychologique, resteront marquées par la douleur de leur enfance.

7. Post face

Pour terminer ce travail, j’aimerais partager quelques perspectives soumises lors d’une journée d’Etudes au Parlement Fédéral en Belgique sur le sujet de maltraitance dont le thème était : « L’inceste : un tabou dans la loi ? »

Cette journée était organisée par SOS Inceste Belgique (ASBL), avec l’aide de la Commission Communautaire française (la Cocof). La particularité de cette conférence est qu’elle était composée de 7 orateurs différents provenant d’orientations différentes : Mr Jacques Roisin, Psychologue ; Mr Jean-Pierre Van Boxel, Inspecteur principal spécialisé et Officier de Police Judiciaire ; Mr Pieters Andriaenssens, Professeur en pédopsychiatrie et Chef de service de pédopsychiatrie de l’Hôpital Universitaire de Leuven ; Mr Pierre André Wustelfeld, magistrat au Tribunal de la Jeunesse de Bruxelles, puis à la Cours d’appel de Mons et membre du Conseil Supérieur de Justice ensuite, de Mr Jean-Claude Maes, psychologue et psychothérapeute et Madame Astrid Bédoret, avocate depuis plus de 20 ans au barreau de Bruxelles. Au cours de cette journée, plusieurs thématiques ont été abordés : la question de la gravité psychologique sur l’enfant et son déni ; les témoignages de réalités policières de terrain ; l’ancrage de la violence sexuelle dans le corps (approche neurophysiologique) ; l’emprise de l’abuseur et la sidération de la victime ; le déni et l’inceste d’un enfant chez certaines familles (phénomène d’aliénation parentale) ; et enfin les perspectives légales en matière d’inceste. Cette conférence met en exergue plusieurs choses : les mécanismes de défenses présents chez les victimes d’abus sexuels, l’importance de prendre en compte la spécificité objective de l’abus et la spécificité subjective de l’abusé. Cela a permis de comprendre les raisons pour lesquelles les victimes rencontrent d’énormes difficultés à porter plainte contre leur abuseur ; et ainsi saisir l’importance de respecter la peur des victimes car cela montre qu’elles ne sont pas encore prêtes. Respecter le rythme au cas par cas est donc essentiel. Sans oublier l’impact de l’emprise familiale empêchant souvent les victimes à déposer leur plainte. Le service d’aide aux victimes se mobilise totalement pour aider les abusés à porter plainte par une technique de calcul tout à fait relatif. De manière générale, les victimes ont besoins d’énormément de temps pour envisager de déposer plainte. La patience, l’écoute active et la  reconnaissance sont donc des critères que l’intervenant doit disposer pour cette technique. Cependant, à force de vouloir trop bien faire, il peut y avoir un risque de victimisation secondaire de la victime. Il faut donc être très vigilant. Il est très important également de tenir compte de l’impact neurobiologique suite à un abus sexuel, avec pour conséquence, l’altération du fonctionnement bio-psycho-social du désigné. En effet, les atteintes neurologiques sont importantes et s’accompagnent de pertes neuronales et de circuit neurologiques de peurs. Lors de cette journée, il a été mis en évidence qu’au travers des expériences vécues sur plus d’une trentaine d’années, au contact ou au sein de l’institution judiciaire, les thèmes de maltraitances, d’abus et surtout les situations d’incestes jetaient un trouble important pour tous les acteurs judiciaires. Dès lors qu’en est-il de la définition de l’inceste aux yeux de la Loi ? Il n’existe actuellement (en Belgique) pas de législation claire et précise sur l’inceste. A ce jour, l’acte n’est pas nommé dans le code pénal. Il n’y a donc pas de notion d’inceste établie à un niveau européen. Des groupes de travail se sont formés et ont établi une liste de projets intéressants afin de pouvoir apporter des changements au niveau de la Justice dans le but d’apporter une meilleure compréhension auprès de victimes de « l’inentendable ». J’ai retenu quelques avis importants dont j’aimerais faire part, dans ce travail, et qui amènerait, les professionnels de la santé à être mieux soutenus dans leur travail thérapeutique avec les victimes. Je vais en citer quelques unes :

Groupes de travail :

-  « Dans l’hypothèse d’un inceste, l’attentat à la pudeur pénalement répréhensible doit toujours être assimilé à un acte accompagné de violences et de menaces parce que la victime, même majeure, est dans l’impossibilité de s’y opposer ou d’y résister ; l’absence de consentement de la victime, même majeure, doit être présumée ».

-  « Pour la personne victime d’un viol incestueux, l’existence de ces violences, contraintes et ruses doit être présumé. »

-  « Dans l’hypothèse d’un viol incestueux, l’absence de consentement de la victime doit être présumée quelque soit l’âge de la victime au moment de la survenance des faits. »

-  « S’agissant d’un viol incestueux, les peines les plus fortes visées à l’article 377 du Code pénal doivent pouvoir s’appliquer même si la victime est âgée de 18 ans ou plus car l’auteur du viol incestueux a toujours autorité sur sa victime, quelque soit l’âge de la victime, en raison du lien de parenté (légale, sociale ou biologique) existant entre eux »

-  « Dans le cas de l’inceste, les délais demeurent insuffisants. »

 

-  « L’inceste doit être défini et inséré parmi les infractions punissables du Code pénal ».

-  « L’article qui définit l’inceste sera mentionné sous le Titre VII du Code Pénal : « des crimes et des délits contre l’ordre des familles et contre la moralité publique » sous un chapitre V bis intitulé « De l’inceste » et libellé comme suit :
Art. 1
er : « Tout acte sexuel réalisé par le parent d’une personne avec laquelle le mariage est possible constitue le crime d’inceste ».

Tout acte sexuel dont l’auteur est soit une personne qui occupe au sein de la famille une position similaire à celle du parent visé à l’aliéna 1 soit toute personne cohabitant habituellement ou occasionnellement avec la victime et qui a autorité sur elle, est également qualifié d’inceste ».
Art. 2 : « la victime d’un inceste, même majeure, est présumée n’y avoir pas consenti ».

Art. 3 : « L’inceste sera puni de la réclusion à perpétuité ou à temps de 5 à 30 ans ».

-  s’agissant de l’inceste, le délai de la prescription de l’action publique doit être identique que la victime soit mineure ou majeure ».

- « S’agissant de l’inceste, nous préconisons toujours de supprimer la durée de « délai originaire » de la prescription ; en d’autre termes, que ce délai soit d’une durée indéterminée Le « second délai » peut être maintenu à 15 ans pour tous les crimes sexuels correctionnalisés définis comme des actes incestueux, que la victime soit mineure ou majeure au moment de l’infraction commise. »

-  « Si le « second délai » ne peut être fixé à 15 ans pour les victimes majeures au jour où l’inceste se produit, une règle identique à cette règle ancienne est nécessaire à permettre au procès de se clôturer définitivement (recours en appel compris) avant l’écoulement du temps du « second délai » de la prescription de l’action publique. »

-  S’agissant de l’inceste, l’allongement du « délai originaire » de la prescription de l’action publique aux fins de permettre aux victimes de bénéficier d’un temps plus important pour dénoncer les faits dont elles ont été victimes ne porte pas atteinte à ce principe énoncé par la Convention Européenne. »

8. Remerciements.

Je remercie Monsieur Yves-Hiram L. Haesevoets pour ses conseils et son avis d’expert en ce qui concerne l’élaboration de ce travail.

Je remercie également les membres de l’UCL pour l’organisation et la réalisation de cette formation spécifique sur l’Approche multidisciplinaire des abus sexuels.

BiBLIOGRAPHIE et lectures complémentaires:

B. Ouvray Suzanne, Enfant abusé, enfant médusé, éditions Desckée de Brouwer, 1993

Brissiaud Pierre-Yves, Surmonter ses blessures, de la maltraitance à la résilience, Editions Retz, 2001

Crowford Christina, Ces cher parents !...quand la violence engendre la violence, Editions l’Homme, 1994

Cyrulnik Boris, Les vilains petits canards, éditions Odile Jacob, 2001
Ferensci Sandor, 
Confusion de langue entre adultes et enfants, extrait de psychanalyse IV 1927-

1933, éd. Payo.

Foward Suzan, Parents Toxiques, Editions Marabout, 1989.

Gauthier Dominique, L’enfant victime d’abus sexuels, éditions Puf, 1994

Gruyer Frédéric, Martine Nisse, Dr Sabourin Pierre, La violence impensable, inceste et maltraitance, Editions Nathan, 1991

Haesevoets Yves-Hiram L, L’enfant victime d’inceste, de la séduction traumatique à la violence sexuelle, éditions de Boeck, 2007

Haesevoets Yves-Hiram L., Regard Pluriel sur la maltraitance des enfants, éditions Kluwer, 2003

Haesevoets Yves-Hiram L, Traumatismes de l’enfance et de l’adolescence, éditions de Boeck, 2008

Héritier Françoise, Cyrulnik Boris et Naouri Aldo, De l’inceste, éditions. Odile Jacob, 2000

Klopfert Dominique, Inceste maternel, incestuel meurtrier, à corps et sans cris, éditions L’Harmattan, 2010

Linares Juan Luis, Des abus et autres maltraitances, la maltraitance familiale entre thérapie et contrôle, éditions de Boeck, 2008

Madoun Sophie et Lopez Gérard, ABC de la victimologie, éditions Granger, 2007 Miller Alice, Notre Corps ne ment jamais, éd. Flammarion, 2004

Miller Alice, L’enfant sous terreur, l’ignorance de l’adulte a son prix, éditions Aubier, 1986

Racamier Paul-Claude, L’inceste et L’incestuel, les éditions Dunod, 2010

Raimbault Ginette, Ayoun Patrick, Massardier Luc, Question d’inceste, Editions Odile Jacob, 2005

Roland Chemama et Bernard Vandermersch, Dictionnaire de la Psychanalyse, Larousse In extenso, 2009

SALEM G. Dimension du système L’approche thérapeutique de la famille, op. cit.

Shengold Léonard, Meurtre d’âme, le destin des enfants maltraités, éditions Calman Lévy, 1998

Et aussi :

Brassine Gérald, Pour une intervention écologique dans le cadre de l’inceste, articles consultés sur géopsy.com. – Psychologie interculturelle et Psychothérapie.

Journée d’études au Parlement Fédéral à Bruxelles du 27 avril 2012 – avec le soutien du membre du Collège de la Commission Communautaire Française chargé de la Santé (Cocof) ; L’inceste : un Tabou dans la Loi ?

Carine Duray-Parmentier, le 10 novembre 2012 -  dans le cadre d'un Certificat universitaire en l'Approche Multidisciplinaire de l'Abus Sexuel (UCL-LLN)

 

 

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